Remis ce mardi 29 octobre à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, par Myriam El Khomri, le rapport sur les métiers du grand âge se veut audacieux. Il entend revaloriser des métiers socialement utiles mais pourtant mal connus ou mal considérés, par de meilleures rémunérations, l'amélioration des formations et un gros effort sur la qualité de vie au travail. Explications.
825 millions d'euros par an pour revaloriser les métiers du grand âge
Le constat est sans appel. Il est urgent d'initier une réforme structurelle, organique, pour transformer le regard porté par la société toute entière sur les métiers du grand âge et répondre aux besoins d'accompagnement programmés. Car les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Le nombre de personnes en perte d'autonomie (bénéficiaires de l'APA) passera de 1,387 million en 2020 à 1,479 million en 2025. Pour répondre à cet enjeu démographique et améliorer les conditions de prise en charge de ces personnes, près de 93 000 postes supplémentaires devront être créés dans les 5 prochaines années (2020-2024), soit un peu plus de 18 500 nouveaux postes par an, Ehpad et Saad confondus. Des postes auxquels s'ajoutent les départs en retraite programmés et les turn-over, une difficulté majeure rencontrée par les services. C'est ainsi 200 000 personnes qu'il va falloir former de toute urgence. Alors on fait comment ?
Le rapport de Myriam El Khomri définit 5 axes d'intervention
· Proposer de meilleures conditions d'emploi et de rémunération : par la création de nouveaux postes mais aussi par la remise à niveau au plus tard au 1 er janvier 2021 des rémunérations inférieures au SMIC dans les grilles des conventions collectives à domicile. L'équipe propose également de redonner du pouvoir d'achat et de la mobilité aux salariés, en revalorisant les indemnités kilométriques. Elle négocie actuellement une offre nationale avec Renault pour équiper les accompagnants à domicile de véhicules propres.
· Réduire la sinistralité et améliorer la qualité de vie au travail : La sinistralité du secteur atteint des taux records : La fréquence d'accidents du travail y est de 100 pour 1000 quand elle est de 34 pour 1000 tous métiers confondus en France. Un programme national de prévention avec la branche AT-MP semble ici s'imposer. Mais Myriam El Khomri pointe également la nécessité de temps coordonnés pour travailler en équipe, « car la charge physique et mentale est si forte que les professionnels doivent pouvoir échanger sur leurs pratiques et ce qu'ils ressentent ». 4 heures par mois, soit une demi journée, permettraient de coordonner le travail et de redonner du sens.
· Moderniser les formations et changer l'image des métiers : fini le concours d'entrée d'aide-soignant pour la formation initiale, l'épreuve écrite pouvant se révéler discriminatoire et non révélatrice des valeurs d'empathie des postulants. Devant la pénurie de candidats, l'équipe juge essentiel d'ouvrir largement les formations, tout en vérifiant toutefois la motivation des candidats pour limiter l'abandon en cours de route. Christine d'Autumne, inspectrice générale des Affaires sociales, précise que 60% des étudiants ont le bac. Il faut donc faciliter l'accès en assurant l'inscription dans les centres de formation via Parcours sup pour la formation initiale. Il convient également de rendre ces formations gratuites pour tous. 3 à 5% des élèves continuent de payer leur formation. Enfin sur ce volet, Myriam El Khomri souhaite réduire drastiquement l'éventail des diplômes. Pas moins de 59 diplômes existent aujourd'hui. Ce foisonnement nuit gravement à la visibilité et à l'attractivité des métiers du grand âge. Elle entend aussi porter à 10 % la part des diplômes d'aide-soignant et d'accompagnant éducatif et social obtenus par la voie de l'alternance. « L'apprentissage est une voie efficace pour former rapidement et efficacement des professionnels à fort potentiel d'insertion dans le marché de l'emploi. Pour 100.000 personnes formées par an cela représentait 10.000 alternants (contre 600 aujourd'hui). » Enfin la VAE, qu'elle souhaite valoriser à 25% dans la part des diplômes délivrés chaque année, représente une possibilité d'évolution de carrière pour les salariés. Tous doivent être formés en gérontologie, de manière spécifique, y compris les étudiants médecins pour lesquels elle prône un stage obligatoire dans un service de gériatrie.
Pour susciter des vocations et changer le regard de la société sur ces métiers, elle souhaite lancer, dès 2020, une vaste campagne de communication, et de sensibilisation des professionnels du recrutement : pôle emploi, formateurs...
· Innover pour transformer les organisations : Ces transformations majeures ne pourront s'exercer sans l'implication des acteurs du secteur. Il est donc nécessaire de soutenir les démarches innovantes, qui proposent une autre manière d'aborder l'accompagnement (méthode Burtzoorg, Cap Handéo...), soutenir les pratiques avancées en gérontologie...
· Garantir la mobilisation et la coordination des acteurs et des financements nationaux et départementaux : si le financement de ce plan nécessite la mobilisation d'acteurs variés, leur coordination devra être assurée au niveau national. Ce qui n'enlève rien à la mobilisation des départements, essentielle pour mobiliser localement. La mission suggère la création d'une plateforme par département qui proposera un guichet unique de sécurisation des recrutements notamment.
Mais alors combien cela coûte ?
Chaque année, 825 millions d'euros sont nécessaires. Ils se décomposent en 6 postes :
- La remise à niveau des rémunérations inférieures au SMIC, pour 170 millions d'euros
- La création de 18 500 postes par an, pour 450 millions d'euros
- La suppression des concours d'entrée en DEAS pour un million d'euros
- La conception d'un Programme national de lutte contre la sinistralité (développement d'une offre de formation, investissement dans des équipements...) de la branche AT-MP pour 100 millions d'euros
- La conception et la diffusion d'une campagne de communication sur les métiers du grand âge pour 4 millions d'euros
- La création de plateformes départementales des métiers du grand âge pour 100 millions d'euros
« Ces 825 millions d'euros annuels représentent un investissement, c'est certain », confirme Myriam El Khomri. « C'est bien sûr le projet de loi grand âge qui décidera, mais il vaut mieux investir maintenant plutôt que de pallier à la sinistralité. Des discussions vont être ouvertes avec les départements, la branche ATMP... Et certaines mesures de ce plan seront confirmées et appuyées d'une base législative ou réglementaire. »... Reste à savoir comment le secteur réagira à de telles intentions...