Interview d' Alain-Frédéric Fernandez, consultant senior spécialiste de la gestion de la formation.
« Adopter une culture de l'anticipation en matière de compétences »
Quel regard portez-vous sur la réforme de la formation professionnelle ?
C'est la plus belle réforme que l'on ait eu en France dans le domaine de la formation professionnelle car elle va créer des réflexes de développement des compétences dans les entreprises. En effet, l'ancienne obligation de dépenser un pourcentage de la masse salariale en formation est remplacée par l'obligation de former. Les entreprises ne sont plus tenues de consacrer 1,6 % de leur masse salariale à la formation mais ont une obligation de résultat social : l'obligation d'employabilité et de sécurisation des parcours de leurs salariés. Si cette réforme est bonne, elle est hélas très complexe et les outils ne sont pas vraiment encore opérationnels. Prenons l'exemple du Compte personnel de formation, le salarié n'a pas le mode d'emploi, la procédure pour s'inscrire n'est pas aisée et la recherche de formation aléatoire. Le CPF revient à dire aux salariés 'Construisez votre projet, construisez votre avenir ! Travaillez votre employabilité !" Mais cette réforme est trop brutale. On est passé d'une société "d'assistés" à une société "d'indépendants". La réforme promeut également le Conseil en évolution professionnelle, mais à l'exception de l'APEC, les opérateurs (Pôle emploi, Missions locales, Cap emploi, Opacif) ne sont pas prêts, pas compétents et n'ont pas les ressources. Enfin, concernant l'entretien professionnel, qui est à forte connotation RH, on autorise les managers de proximité à le conduire, alors qu'ils ont déjà du mal avec l'entretien annuel d'évaluation.
Pourquoi est-il essentiel de raisonner en terme de compétences ?
Il n'est pas un seul métier qui ne change et ne se transforme avec en particulier l'introduction des technologies. Le secteur médico-social n'échappe pas à cette tendance. A l'horizon 2025, les compétences acquises par un salarié auront une durée de vie de 18 mois. Un directeur d'EHPAD ou un responsable de formation doit passer de la logique de gestionnaire des demandes de formations à celle de pourvoyeurs des compétences nécessaires au fonctionnement de l'établissement. Certes, les métiers du secteur médico-social sont non-délocalisables mais si la France affiche une pénurie de personnel qualifié, les établissements devront se tourner vers de la main d'oeuvre étrangère : médecins, infirmiers, aides-soignants... Aujourd'hui, chaque employeur a besoin d'identifier ses besoins en personnel pour demain. Et adopter une culture de l'anticipation en matière de compétences.
Comment mesurer le retour sur investissement des actions de formation ?
Il faut évaluer en amont et en aval le plan de formation. Ainsi, la direction et les managers doivent identifier les compétences clés nécessaires à court et moyen terme, et prédéfinir ensuite les dispositifs de formation qui vont contribuer à développer ces compétences. Il s'agira, dès lors, de privilégier des formations ayant un impact direct sur les résultats de l'entreprise.
Est-il préférable d'évaluer les acquis d'une formation « à chaud » ou « à froid » ?
A chaud, le résultat attendu de la formation pourra aisément être mesuré par un quiz, un QCM ou exercice simple. Mais en procédant ainsi, on mesure plutôt la mémoire du salarié, sa capacité à répéter des savoirs ou des gestes récemment acquis. Selon moi, la seule évaluation valable des compétences, des comportements nouvellement acquis est l'évaluation en situation réelle, sous la houlette du personnel d'encadrement... L'effet de certaines actions de formation ne se mesure que sur le moyen/long terme. Donc il faut attendre, quelques semaines afin que les connaissances et les habilitations acquises se fondent dans la démarche du travail normal du salarié. C'est également à moyen/long terme que l'employeur peut évaluer si la formation suivie a eu un impact sur l'amélioration de la qualité. Par exemple, une formation suivie sur les risques professionnelle a-t-elle permis une baisse du nombre d'accidents du travail les semaines suivant ? Pour juger de la "réussite" de la formation, des indicateurs spécifiques peuvent être définis.