Chaque année, l'Assurance maladie partage 24 milliards d'euros entre le sanitaire et le médico-social. Pour en bénéficier, les Ehpad réalisent, non sans difficulté, des coupes Aggir (perte d'autonomie) et Pathos (besoin en soins) pour chaque résident. Conseils pratiques pour bien coter et obtenir le juste financement.
« Beaucoup d'Ehpad ne reçoivent pas tout le financement auquel ils pourraient prétendre »
Avec ses 17 cases correspondant à 10 activités corporelles et mentales et 7 activités domestiques et sociales, la grille Aggir détaille les piliers du quotidien de tout être humain : communiquer, se repérer, faire sa toilette, s'habiller, aller aux toilettes, se lever, etc. Son remplissage permet de coter les GIR de tous les résidents, puis la perte d'autonomie moyenne de l'établissement, le GMP (Gir moyen pondéré). Ce dernier fixera le montant de l'APA (allocation personnalisée d'autonomie).
De son côté, la grille Pathos caractérise l'état de la prise en charge médicale requise des résidents sur 50 pathologies : affections cardio-vasculaires, neuro-psychiatriques, broncho-pulmonaires, infectieuses, dermatologiques, etc. Lorsqu'on a coté le Pathos de chaque résident, un logiciel calcule le PMP (Pathos moyen pondéré), qui détermine le forfait global des soins alloué à l'établissement.
Pathos n'est pas tout
Les GMP et PMP fixent ainsi le budget soin annuel de chaque Ehpad. Or, « beaucoup d'Ehpad ne reçoivent pas tout le financement auquel ils pourraient prétendre du fait de nombreuses erreurs de codage », remarque Jean-Marie Vétel, conférencier formateur en gériatrie. Les directeurs sont souvent persuadés qu'il faut d'abord un bon Pathos pour obtenir un bon financement, délaissant peut-être Aggir. « Or, c'est le GMP qui est important », répète le coauteur des deux grilles.
En effet, le PMP moyen d'un Ehpad s'élève généralement à 200 points, alors que son GIR dépasse le plus souvent les 700. Même avec le coefficient de 2,59 appliqué au PMP dans l'équation tarifaire, Aggir mobilise un enjeu financier presque deux fois plus important que Pathos.
Si le personnel a sous-coté Aggir, un Ehpad peut par exemple se retrouver avec un GIR à 760 alors qu'il devrait être à 780. « Le manque à gagner financier correspond quasiment à un poste d'aide-soignante en moins, soit 30 000 euros », relève Jean-Marie Vétel.
Aggir : que fait la personne lorsqu'elle est seule ?
Le Dr Vétel déplore le manque de formation du personnel évaluateur : « Quand on n'est pas formé, on sous-cote ». Pour Aggir, les aides-soignantes apprennent « sur le tas » le plus souvent. Or ce sont elles qui notent et transmettent aux infirmières et médecin coordonnateur, chaque jour, le degré d'autonomie des résidents.
« Le concept d'Aggir, c'est d'évaluer ce que fait la personne quand elle est seule, toute seule », précise le formateur. En effet, un senior peut très bien faire sa toilette correctement si une aide-soignante est présente, et oublier dès qu'il est seul. Aussi, avant de noter l'évaluation, « de jour comme de nuit, il faut surveiller ce que fait le résident seul, du coin de l'oeil, pendant 15 jours ». Jean-Marie Vétel proscrit les situations de test : « Un résident pourrait être stimulé ou stressé par l'idée du test, et donc amoindrir ou surélever temporairement ses capacités. »
La sous-cotation se fait moins ressentir concernant Pathos, assurée par le médecin coordonnateur avec l'aide des psychologues, infirmiers, kinés, psychomotriciens, ergothérapeutes. Les ARS, en charge de son évaluation, estiment même plutôt que les médecins coordonnateurs surcotent. Elles sont réputées pour revoir à la baisse leurs cotations. « Les annulations de coupes sont très rares, nuance Amélie Verdier, directrice de l'ARS Île-de-France. Par contre, [le processus] de validation [avec l'ARS] peut conduire à modifier les cotations. »
En cas de désaccords, une ouverture de contentieux entre médecins valideurs et validés peut advenir. Les établissements ne comprennent pas toujours pourquoi telle cotation est réévaluée et pas une autre. La « casse » peut être vécue comme arbitraire. « Selon le nom du médecin valideur, nous savons que l'issue du contrôle peut être différente », relève Thérèse Bendaho, directrice de la résidence Les Hermines à Lanester (Morbihan).
Le contrôle de Pathos par les médecins valideurs de l'ARS a lieu en principe tous les cinq ans, tout comme ceux du conseil départemental pour Aggir. D'une évaluation à l'autre, l'enjeu est avant tout, pour les Ehpad, d'éviter que le niveau de cotation GMP+PMP diminue. « Si ça descend trop, on risque de perdre une partie de la dotation financière, pointe Thérèse Bendaho. En revanche, si ça augmente, la garantie d'une augmentation des moyens n'est pas assurée. »
La traçabilité : un must !
Le médecin coordonnateur doit s'assurer que tout est noté. Beaucoup de cotations se voient « cassées » à cause d'une mauvaise traçabilité. « La validation doit toujours être basée sur des preuves, enjoint Amélie Verdier. Le dossier médical et celui des soins doivent contenir des informations détaillées qui aideront à juger du besoin du patient : antécédents, descriptif clinique des pathologies, traitements, troubles du comportement, décompensation, etc. »
La traçabilité, c'est le conseil numéro un de Thérèse Bendaho, qui avec ses 12 ans d'ancienneté a déjà deux évaluations à son actif. « Le piège, pour les soignants et accompagnants, c'est d'oublier de noter, par exemple, que cette nuit, Madame Dupont a déambulé, parce que cela arrive tout le temps. Or, même si ça arrive chaque nuit, il faut l'écrire », insiste la directrice. Il en va de même pour tous les troubles du comportement : colère, agressivité. Lorsque les résidents refusent le soin, il est aussi primordial de l'indiquer dans le dossier. « Le temps que représente le refus de soin pour les soignants, très important, nécessite un autre accompagnement. »
Anticiper
En conséquence, la préparation d'un contrôle de coupe Aggir/Pathos de l'ensemble des résidents d'un Ehpad se prépare des mois à l'avance. « Il m'est arrivé qu'un médecin valideur reprenne l'antériorité des dossiers sur une année complète », relate Thérèse Bendaho, qui estime particulièrement utile de réaliser les formations proposées par l'ARS sur la méthodologie de cotation un an avant une évaluation.
Des approches différentes
Faire monter son GMP en accueillant surtout des résidents très lourds, « GIR 1 ou 2 » pourrait être tentant. Beaucoup d'établissements s'y refusent. « Nous ne sommes pas un hôpital mais un lieu de vie », relève Thérèse Bendaho. La résidence de Lanester préfère opter pour la cohabitation d'une pluralité de résidents. « Cela n'apporte pas un GIR ni un Pathos très haut, mais cela permet l'entraide et la vie. »