Pas moins de cinq textes législatifs sont en discussion sinon en préparation aujourd'hui pour transformer le secteur. Ils vont se succéder et interagir pour composer la réforme comme cinq pièces d'un puzzle. Décryptage
Cinq textes pour la réforme du Grand Âge !
Une loi organique sur la dette sociale et l'autonomie et une loi simple sont actuellement discutées au Sénat. Elles seront votées le 2 juillet prochain. Ces deux textes visent à supprimer la séparation des deux sous-objectifs de l'Ondam dédiés d'une part aux Personnes âgées, et d'autre part aux Personnes Handicapées, distinction demandée et obtenue par le secteur en 2004 lors de la création de la CNSA. C'est ce qui constitue le « nouveau risque autonomie ».
Les temps ont changé. Le secteur du handicap ne devrait plus craindre la vague démographique pour ses ressources, et à l'inverse, le secteur personnes âgées ne plus subir ou craindre la force du lobbying associatif et familial beaucoup plus puissant que le sien pour des raisons intrinsèques. C'est d'ailleurs la position du GR 31 qui concerte ses positions avant les conseils de la CNSA.
Pour contextualiser, le mouvement des usagers dans le secteur du handicap s'échelonne sur des temps longs, 25 à 35 ans d'engagement pour les personnes concernées ou leurs parents. Dans le grand âge, l'exposition à la perte d'autonomie sévère est en moyenne évaluée à deux ans. Geneviève Laroque résumait parfaitement ce phénomène quand elle disait « les parents défendent leurs enfants mais hélas les enfants ne défendent pas leurs parents ». Elle pointait ainsi les différences de militantisme entre handicap et gérontologie.
La loi organique entend donc créer une vaste entité, en défaisant cette séparation au sein de l'Ondam. Cet objectif, bien que pertinent sur le papier, devrait poser de nombreuses questions sur la manière dont seront gérés les arbitrages au fil du temps.
Le projet de loi simple sur la dette sociale et l'autonomie qui devrait revenir dès la semaine prochaine à l'Assemblée nationale, comme le projet de loi organique, doit pour sa part créer la recette de 2,3 milliards d'euros, soit les 0,15 point de CSG annoncé, pour 2024. (Lire notre article pour aller plus loin)
Dans le même temps, et pour patienter jusqu'en 2024, Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, a annoncé débloquer 1 milliard d'euros supplémentaire dès le 1er janvier 2021 à travers la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021. C'est le 3è texte.
La loi Autonomie Grand Age doit quant à elle permettre d'évoquer la délicate question du reste à charge, le pilotage des politiques de perte d'autonomie, le décloisonnement sanitaire, social et médico-social, la place des usagers et des aidants, la réforme du droit des autorisations pour faciliter la création de plateformes gérontologiques simplifiées, grâce à la possibilité demain de délivrer aussi une autorisation gérontologique « multi-services » associant à la fois EHPAD, accueil de jour, SSIAD, SAAD, UHR et PASA. Comme cela a déjà été largement réalisé dans le secteur du handicap.
Reste enfin un sujet de haute sensibilité politique concernant un éventuel arbitrage entre les ARS et Conseils départementaux sur le pilotage et le financement des politiques gérontologiques. L'Association des départements de France (ADF) indique souhaiter un bloc de compétences médico-sociales pour prendre en charge l'ensemble de la gérontologie. D'autres, voyant le lien très fort entre santé et médico-social, proposent à l'inverse un pilotage unique des EHPAD par les ARS. Les deux possibilités se justifient et se soutiennent. Mathieu Klein d'ailleurs, dans sa responsabilité encore de Président du conseil départemental de Meurthe et Moselle[1], expliquait lors d'un webinar organisé par la Sofer-esms que les Ehpad étaient en train de se transformer en plateformes de santé de proximité pour personnes âgées, justifiant dès lors la création d'un bloc de compétences ARS.
Dans les débats, il y a lieu aussi de regarder les enjeux potentiels de la Loi dite « 3D », soit Déconcentration, décentralisation, différenciation. Certains (au sein du Parti Les Républicains) prônent même la suppression des ARS, invitant à impliquer davantage les conseils régionaux dans les questions de santé hospitalières comme les conseils départementaux pour le médico-social et à donner la globalité des pouvoirs de régulation aux élus et pour le dialogue avec l'État, aux Préfets de Région (pour le sanitaire) ou de Département (pour le médico-social). Il s'agirait dès lors pour l'État de renoncer à son maillon ARS ?
Une autre possibilité est de permettre aux ARS et aux conseils départementaux de s'entendre en « sur-mesure » et de se déléguer une compétence, le chef de file pouvant varier d'un département à l'autre, ce qui illustrerait le mot « différenciation ». C'est ce que l'ARS des Hauts de France et le Conseil Départemental du Nord ont expliqué sur leur manière de s'organiser en confiant le « chef de filât » d'une instruction du CPOM ou de l'EPRD à celle des deux autorités apportant la majorité des financements à une structure, selon le compte-rendu d'une journée d'études tenue au Sénat le 7 février 2020.
D'ailleurs, l'article 63 de la LFSS 2019 explicité par David Causse, dans un article paru dans Géroscopie en mai 2019, permet déjà à des ARS et des Conseils Départementaux de se confier mutuellement une compétence globale dans le secteur du handicap pour adultes sous compétence mixte, et ce dans les deux sens.
Réinterrogé à ce sujet par Géroscopie, David Causse a répondu « qu'en matière de répartition des compétences et d'arbitrage entre le jacobin et le girondin - discussion multi-séculaire dans notre pays - il est probable que les petits matins fructueux seront plus efficaces que le grand soir, aussi éternellement attendu qu'il est redouté... ».
Reste finalement la question financière, avec une silencieuse mais profonde recentralisation intervenue depuis 20 ans, mouvement en sens inverse de l'élévation des compétences des collectivités territoriales. 97 % du montant de la dotation globale de fonctionnement gérée par les Conseils départementaux est aujourd'hui défini par l'État. L'autonomie fiscale d'un département se résume dès lors à 3%, des recettes obtenues entre autres par les droits de mutation immobiliers, grandement fragilisés par la crise du COVID-19.
Alors Grand soir ou Petits Matins ?... C'est bien de réformes structurelles et fonctionnelles dont il s'agit. Espérons qu'elles seront à la hauteur des espoirs qu'elles génèrent.