Facile de parier qu'au cours de l'année 2018, il sera beaucoup question d'intelligence artificielle, de sécurité des données, de robot, d'homme augmenté et de transhumanisme... Nos sociétés fantasment sur les " nouvelles technologies ".
De l'immortalité
Il y a une vision prophétique de l'innovation qui donne à la technique un pouvoir sur la société. Comme si les innovations déterminaient notre futur et rendaient inéluctables les évolutions du monde. Une croyance dans le dieu de la nouvelle technologie qui réduirait les êtres humains au rang de spectateur. Une croyance dans l'inéluctabilité et le déterminisme de la science et de l'innovation. Une croyance dans la toute puissance de la technologie sur les hommes, petits et misérables.
Rappelons d'abord (c'est toujours utile en ces temps où la laïcité est oubliée ou incomprise) qu'une croyance n'est pas un fait, ni une vérité. C'est dans le meilleur des cas une hypothèse, un pari disait Pascal, ou un dogme qui ne souffre alors d'aucune contestation, critique ou mise en cause. Dans certains pays, ne pas être croyant est puni de mort.
Le culte du nouveau monde
Remarquons aussi combien nos sociétés post modernes sont toutes entières inscrites dans le futur : ll faut être innovant, nouveau, jeune... Demain doit être mieux qu'aujourd'hui. Il faut être progressiste, du nouveau monde... Le risque majeur pour un individu d'aujourd'hui serait d'être dépassé par son temps ! Et être de son temps c'est déjà être en retard... sur ceux qui veulent à toute force être en avance... Lorsque Baudrillard a publié en 1979 La condition post moderne , il pointait la fin des grands discours, des grands mythes, des grandes croyances. Le penseur s'est malheureusement trompé... Dans notre société de défiance envers les grandes institutions démocratiques, la croyance n'a pas abdiqué. En tout cas, pas dans toute la société. Par ailleurs, sur un plan général, elle reste forte par rapport aux innovations. Même si une partie de la population s'en inquiète, y voit d'abord les risques pour l'emploi, la liberté individuelle ou l'environnement.
L'immortalité en ligne de mire
Dans cette optique, certains imaginent déjà que nous pourrons vivre 1 000 ans. Ils célèbrent l'homme augmenté qui grâce à la manipulation génétique des embryons ou aux implants intracérébraux pourront penser plus vite, et qui par l'ajout de capacités physiques et de régénération d'organes être plus fort et vivre indéfiniment. Le but ultime de la puissance serait atteint : l'immortalité. Michel de Certeau, dans L'invention du quotidien , signalait que la technologie devait nous faire oublier la maladie, la faiblesse et la mort. L'immortalité pose de nombreuses questions : quid de la sélection entre ceux qui vivront toujours et les autres ? Comment penser la procréation ? Est-ce possible de vivre 1 000 ans sans s'ennuyer ? Comment éviter la procrastination généralisée ? Et j'en passe...
L'homme augmenté n'est pas une nouveauté (les verres correcteurs ont été inventés au 13ème siècle) mais là il s'agirait que l'être, avec ses complexités, et le corps soient remplacés par une combinaison de machines et de solutions technologiques programmées. Il s'agirait que l'âme se réduise à une suite d'algorithmes. L'humain vivrait mille ans mais ce ne serait plus l'humanité. Mais confiance, l'être humain ne se laisse pas faire, il aime à braconner (une formule utilisée aussi par de Certeau), à serpenter, à se jouer des figures imposées... Les derniers de cordées sont majoritaires et n'ont pas dit leurs derniers mots...
Serge Guérin
Sociologue, Professeur à l'Inseec, ou il dirige le MSc " Directeurs des établissements de santé ". Dernier livre " La guerre des générations aura-t-elle lieu ? " chez Calmann-Levy