Observer, écouter, donner du sens, trouver le sens de la construction de nos relations à l'autre.
Delphine Dupré-Lévêque Anthropologue
Qui êtes-vous ?
Je suis une optimiste qui savoure chaque petit rien de la vie... L'odeur d'une boulangerie, un rayon de soleil au milieu des nuages, un sourire, un moment entre amis.
Quel est votre métier ?
L'anthropologie est un regard, c'est ainsi que je définis cette science humaine et sociale. Dès la première minute où j'ai écouté la première intervention de mon premier professeur, j'ai su que je serai anthropologue. Observer, écouter, donner du sens, trouver le sens de la construction de nos relations à l'autre permet de saisir la magie de la vie. Ces relations ne sont parfois faites que d'un regard, d'une main tendue, d'un sourire à peine perceptible. Mais quelle chance alors d'être anthropologue, et plus encore, spécialisée en gérontologie ! Imaginez, je m'installe des heures durant dans un Ehpad, dans une unité de vie protégée et là j'observe... J'observe tout. J'observe les échanges des résidents avec les professionnels et bien sûr les résidents entre eux. Quand l'un m'invite à le suivre dans le fil de sa pensée ou dans un espace particulier, je le suis et je pars avec lui sur la route où il veut me mener. Ce sont des moments privilégiés. Observer, analyser et donner du sens là où peu de personnes perçoivent la richesse et les organisations de ces interactions est le privilège absolu de l'anthropologue. Je ne vois pas quel autre métier j'aurais pu faire, ni quel autre objet d'études pourrait être aussi passionnant.
Comment voyez-vous évoluer le secteur du vieillissement ?
Paradoxalement, le secteur du vieillissement est un secteur innovant. Plus les recherches avancent sur le vieillissement plus ce secteur se complexifie parce que l'objet « vieux » change et évolue rapidement. La révolution démographique a été plus rapide que les évolutions sociétales et l'un a rarement était envisagé avec l'autre. Aujourd'hui, en 2020, presque un million de personnes ont 90 ans en France. Il y a 30 ans, le jour de leur 60ème anniversaire, très peu pouvaient se projeter à 90 ans et pourtant... Les études ne savent plus quel groupe considérer comme "vieux" : les plus de 60 ans, de 65 ans, de 75 ans, de 85 ans, les centenaires ? Finalement ce que l'on sait, c'est que l'on ne sait plus rien.
Alors, cessons de parler et observons ! Les vieux d'aujourd'hui, ceux qui ont plus de 90 ans, nous ouvrent la voie. Ils sont nos inventeurs de demain, nos coachs, puisque grâce à eux, nous nous préparons tous à devenir des vieux. Nous les regardons faire, nous les étudions, reste à faire de ces modèles des icônes de la mode et c'est là que nous entrons en scène, nous, les acteurs de la silver ! La saga est longue et pleine de rebondissements, je vous l'ai dit, c'est tout ce qui fait la beauté de la vie.
Y a t-il une valeur spécifique à être une femme dans ce secteur ?
Si hommes / femmes, même combat, vieux / vieilles, là, le combat est un peu plus inégal. Les vieux sont souvent des vieilles et il semble moins enviable d'être une vieille plutôt qu'un vieux. C'est assez injuste car si ces vieilles sont là c'est que, quelque part, elles ont survécu avec plus de talent. Peu le définissent comme tel.
Encore une fois, c'est à nous les acteurs de la silver d'entrer en scène sans avoir peur. Acteur anthropologue au féminin, au masculin ? Je ne sais pas, les sciences humaines sont par définition si humaines qu'elles en sont donc profondément culturelles. J'aurais aimé être un homme anthropologue déambulant au hasard des couloirs des établissements. Je pense que le regard que j'aurais porté en tant qu'anthropologue aurait été proche du mien, mais, par contre, je pense que le regard qui aurait été porté par les résidents et surtout les résidentes sur moi aurait été totalement différent. Que l'on parle des soignants ou des résidents, les hommes dans les Ehpad sont une denrée rare. Alors ils ont tous une place à part dans le coeur des résidentes car résidente n'en reste pas moins femme. Anthropologue homme, la séduction aurait eu la part encore plus belle.
La séduction, l'envie de plaire, et je terminerais par ce sujet, ne s'effacent pas avec les rides. La séduction, l'envie de plaire c'est l'essence même de la relation à l'autre et qui nous permet de rester connectés. C'est à chacun d'entre nous, dès lors qu'il est au contact des vieux et des vieilles, dès lors qu'il a donné du sens aux mots respect et dignité, de tout mettre en oeuvre, pour que la flamme qui nous anime tous, brille aux fond des yeux de chacun jusqu'à son dernier souffle. Je crois que c'est le rôle de chaque acteur de la silver. Ensemble, Solidaires !