Le projet de loi de transformation de la fonction publique suscite une levée de boucliers chez les syndicats de directeurs d'EHPAD de l'hospitalière qui y voient une menace pour la fonction de direction et pour le management des établissements.
Demain, davantage de contractuels chez les D3S ?
Les syndicats de fonctionnaires ont voté unanimement, le 15 mars, contre le projet de loi de transformation de la fonction publique, lors d'un conseil commun de la Fonction publique (CCFP). Du côté des représentants des directeurs d'EHPAD de l'hospitalière le rejet de ce texte fait également consensus. Pascal Martin, secrétaire général adjoint du CH-FO dénonce un projet de loi « mené à la hussarde », « préformaté » et « des attaques régulières et permanentes de l'exécutif contre le service public et la fonction publique ». « Nous sommes avec la fédération et la confédération Force Ouvrière vent debout contre ce texte qui met en péril des acquis importants en terme de stabilité des services et de services rendus au public », explique-il.
L'article 7 du texte ouvre la possibilité « de nommer des personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaire » aux emplois de direction des établissements de la fonction publique hospitalière. « Dans le programme présidentiel, la majorité n'a jamais caché son intention de modifier les règles classiques d'organisation de la fonction publique et celles touchant au statut. Le recrutement de contractuels, c'est la "FranceTélécomisation" qui se profile à brève échéance. La logique qui s'en suivrait est la mise en extinction du corps des titulaires et le recours systématique aux contractuels », considère Yves Richez, responsable du collectif des directeurs de l'Ufmict-CGT.
Le recrutement de contractuels pour les emplois de D3S existe déjà puisqu'il a été introduit par l'article 11 de la loi Hôpital patients santé et territoires (HPST). Yves Richez explique que lors du recensement effectué en vue des élections professionnelles en décembre 2018, les directeurs d'EHPAD contractuels étaient estimés au nombre de 250 soit 5% des effectifs. « Les nominations de contractuels chez les D3S sont, dans la pratique, contenues sur le plan quantitatif par la DGOS, le CNG et la DGCS. Il y en a à chaque CAP mais sur les 60, 70, 80 ou 90 nominations de chefs d'établissements, les contractuels sont au nombre de 2 ou 3. Le CNG fait parmi les candidatures un travail de filtre en terme de conditions de formation initiale, de formation professionnelle continue, de niveau de diplôme ou d'expérience professionnelle. Avec ce projet de loi, nous craignons que les freins jusqu'à présent admis par l'administration n'existent plus et que l'on ouvre plus largement aux contractuels », déplore Emmanuel Sys, secrétaire national D3S du Syncass-CFDT.
Asservissement
Les syndicats craignent les répercussions de ce texte sur le management des établissements et sur la fonction de direction. En clair que les directeurs contractuels ne deviennent de simples exécutants des politiques ministérielles. « Quand ils sont chefs d'établissement du type EHPAD, les D3S sont en interdépendance avec les élus locaux. Il y a certes la relation avec les agences régionales de santé (ARS) qui dans le cas où l'on s'inscrivait dans un contrat plutôt que dans un emploi fonctionnel emmènerait de facto un asservissement clairement plus marqué avec des courroies et des process managériaux raccourcis. Il y a également un risque d'asservissement à l'égard des élus locaux. La précarisation du statut contractuel fait que le siège éjectable est extrêmement marqué », met en garde Emmanuel Sys. Et de poursuivre : « La philosophie qui avait prévalu à la mise en place de la fonction publique d'après-guerre pour garantir une forme de neutralité et de sécurité des fonctionnaires est mise en danger pour des raisons quasi dogmatiques visant à dire que le privé va faire mieux. Or, les hôpitaux, les EHPAD publics ont pu faire la démonstration d'une capacité d'adaptation extrêmement forte au gré des multiples réformes ces dernières années. Il n'y a pas d'évaluation des politiques publiques qui viserait à dire que le management proposé par le "modèle fonction publique" n'est pas opérationnel ou n'est pas efficient ».
Yves Richez (Ufmict-CGT) appréhende également que ce recours élargi aux contractuels ne verse dans « le clientélisme » car « la reconnaissance du mérite et l'égalité entre les candidats par la voie du recrutement sur concours ne seront plus à l'ordre du jour ». Pour le CH-FO, l'accroissement de la rémunération au mérite, inscrit dans le projet de loi, est de nature à favoriser « les risques d'arbitraire » de la part de certaines ARS.
Disparition du paritarisme
Autre point d'inquiétude pour les syndicats : la réduction des prérogatives des commissions administratives paritaires (CAP). L'article 14 du projet de loi prévoit de supprimer leur avis préalable sur les questions liées aux mutations et aux mobilités, à l'avancement et aux promotions et de recentrer leur rôle et leurs attributions sur la prévention, le traitement et l'accompagnement des situations individuelles les plus complexes (procédures disciplinaires, recours...). Frédéric Cecchin, vice-président D3S du SMPS pointe du doigt la « quasi-disparition du paritarisme ». « On est en train de vider les commissions paritaires de leur consistance. Le projet de loi prévoit que ce soit l'administration qui nomme les directeurs sur les postes. On risque de passer d'une gestion nationale des corps à une gestion délocalisée », explique-t-il.
L'article 3 du projet de loi supprime les comités d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) actuels et les comités techniques pour les remplacer par une nouvelle instance, le "comité social d'établissement" (CSA). « L'unique but est de diminuer le nombre de représentants élus et donc le nombre d'heures de travail correspondant. Des économies de bouts de chandelles qui vont porter atteinte au dialogue social. L'objectif est de réduire les caisses de résonnance, les moyens d'expression, de dialogue, de concertation et d'apaisement », critique Yves Richez.
Le gouvernement compte faire adopter au Parlement, le projet de loi de réforme de la fonction publique d'ici au début de l'été. Les organisations syndicales CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FAFP, FO, FSU, Solidaires, et UNSA réclament « des négociations sur de nouvelles bases » et appellent à une grève le 9 mai.