Récemment nommée ministre déléguée des personnes âgées et des personnes handicapées auprès de Catherine Vautrin, Fadila Khattabi répond pour Géroscopie aux questions qui agitent le secteur. Interview exclusive.
« Depuis ma nomination [...], je n'ai pas l'impression de gagner du temps, mais plutôt d'accélérer »
Quelle est votre feuille de route précise pour le grand âge ?
Le président de la République et le Premier ministre ont souhaité élargir mes missions au grand âge. C'est un honneur et je mesure les défis qui s'ouvrent à nous. Le choc démographique à venir doit nous conduire à repenser l'avancée en âge dans notre pays. D'ici 2050, 4 millions de nos compatriotes seront en perte d'autonomie, il faut nous préparer à cette mutation profonde en améliorant la qualité de vie en Ehpad et en organisant le virage domiciliaire. Ce sont mes deux priorités.
L'adoption définitive de la proposition de loi « Bien Vieillir » en mars dernier et le lancement de notre stratégie nationale de lutte contre les maltraitances apportent une première série de réponses, elles-mêmes s'inscrivant dans une action plus large depuis 2017. Je pense évidemment à la création de la 5e branche autonomie de la Sécurité sociale, que j'ai votée en tant que députée en 2022, et qui atteindra 45 milliards d'euros de financement d'ici 2027, comme au lancement de « Ma Prime Adapt » en janvier dernier. Cette aide financière accompagne les Français dans l'adaptation de leur logement et prend en charge jusqu'à 70 % du montant total des travaux. Là encore, ce sont plus de 1,5 milliard d'euros qui sont investis pour accompagner durablement nos aînés.
Ma feuille de route s'inscrit donc dans cette dynamique et nous passerons nécessairement par le soutien aux aidants, par une plus grande attractivité des métiers du médico-social, tout comme par la mise en oeuvre du Service public départemental de l'autonomie, déjà expérimenté dans 18 départements. Je n'oublie pas non plus les attentes du secteur et des élus de la nation : construire ensemble une stratégie globale s'agissant du grand âge : quels financements ? Quelle gouvernance ? Quels objectifs ? Tout cela est bien au programme et je souhaite que nous puissions engager des actions fortes, les enjeux en valent la peine.
Quelles suites concrètes envisagez-vous de donner à la loi Grand âge ?
J'ai évoqué d'entrée le caractère global et transversal de la politique du grand âge. La loi « Bien Vieillir », si c'est un texte qui permet de nombreuses avancées positives, n'est, bien sûr, pas solde de tout compte. Elle représente néanmoins une avancée concrète et attendue par les personnes concernées.
Maintenant, je sais qu'il reste des questions importantes à trancher pour clarifier la répartition des compétences entre l'État et les départements notamment. Sans oublier l'enjeu central du financement, pour décider collectivement qui paye quoi.
Ce sont des questions complexes sur lesquelles j'ai pu, à de nombreuses reprises, exprimer ma volonté de débattre avec tous les acteurs concernés. C'est la raison pour laquelle nous lancerons une série de consultations avec les professionnels du secteur, les collectivités et les parlementaires. C'est le sens de notre engagement, avec Catherine Vautrin, et s'il faut prendre des mesures législatives, nous le ferons.
Vous avez semblé agacée des interpellations répétées des députés mais quel est votre calendrier pour mettre en oeuvre la loi ? car vous n'avez pas répondu précisément...
Non, je garde toujours mes chakras ouverts (sourire). Par contre, lorsque les parlementaires de l'opposition oublient sciemment de mentionner les différentes avancées que nous avons rendues possibles en faveur des personnes âgées, je me dois de défendre notre bilan : création de la 5e branche, Ségur de la santé, accord Laforcade, Ma Prime Adapt, etc. Par ailleurs, et comme je l'ai souligné, une loi importante vient d'être adoptée au Parlement. Avec elle, nous franchissons une nouvelle étape et je veux désormais engager un large débat sur les questions de stratégie, de gouvernance et de financement. Il faut que nous avancions avec une ambition et un objectif clair, partagés par tous.
Le secteur s'interroge : comment engager une politique de long terme quand les ministres changent tous les 6 mois sans concrétiser les promesses de leurs prédécesseurs ? On frise la crise de confiance...
Depuis 2017, ces questions figurent parmi les priorités du Président de la République et chaque Gouvernement a apporté sa pierre à l'édifice. Vous savez, les ministres c'est une chose, mais l'essentiel n'est pas toujours là. Notre travail est de poursuivre la dynamique engagée et de veiller à ce que le cap fixé par Emmanuel Macron et légitimité par le vote des Français, se poursuive.
À titre personnel, ces thématiques me tiennent tout particulièrement à coeur. Une société qui n'exclue personne et qui est solidaire à l'égard des plus fragiles est une société qui s'honore et fait preuve d'humanité. C'est une vision de la politique à laquelle je suis très attachée et je suis convaincue qu'elle nous pousse à une action résolue de long terme.
L'Ehpad a-t-il un avenir selon vous ? Sous quelle forme ?
Oui, et vous pouvez compter sur ma détermination pour qu'il soit durable et à la hauteur des attentes de nos compatriotes. Ma première ambition est celle de la confiance.
Les situations d'abus ou de maltraitances qui ont pu être médiatisées, sont certes minoritaires, mais bien réelles et toujours inacceptables. Elles ont dégradé l'image de ces établissements et des professionnels qui y travaillent. C'est pourquoi je tiens à ce que nous recréions un climat de confiance entre les Français, les directeurs d'Ehpad et les pouvoirs publics. C'est la condition sine qua non à une reprise d'activité durable. C'est également le sens de la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances que nous avons présentée et qui nous permet de renforcer notre vigilance collective.
Demain, et c'est ma deuxième ambition, nous devrons être à l'Ehpad « comme à la maison ». C'est-à-dire pouvoir recevoir qui on veut, quand on veut, sortir et entrer à sa guise et, pourquoi pas, être accompagné d'un animal de compagnie. J'ai pu lire ici ou là qu'il s'agissait de « mesurettes », je ne suis pas d'accord. En améliorant la qualité de vie dans les maisons de retraite, nous renforçons le bien-être qui, à terme, aura un impact durable sur l'attractivités des Ehpad. L'un ne va pas sans l'autre, notamment en ce qui concerne la stabilité financière de ces établissements.
Comment rassurer les professionnels qui attendent des mesures de recrutement, de formation, de valorisation, d'équilibre financier ?
En restant à leur écoute et en poursuivant nos efforts. Un exemple : nous renforçons l'offre de soins infirmiers à domicile, avec un objectif de 25 000 places supplémentaires d'ici 2030. Formation, recrutement, amélioration de la prise en charge de nos aînés à la maison.
Je pense aussi à la valorisation des aides à domicile qui disposent maintenant d'une carte professionnelle de stationnement et pour lesquelles nous incitions les départements à prendre en charge leurs déplacements professionnels. Quand on sait qu'une importante partie du budget passe dans les transports, c'est une mesure concrète qui a un effet positif sur le pouvoir d'achat.
Enfin, il y a bien sûr les enjeux de rémunération. Ils sont incontournables et le Gouvernement a répondu présent à travers le Ségur de la Santé, la hausse du point d'indice pour les fonctionnaires et les mesures spécifiques à chaque profession. La rémunération, c'est essentiel mais ça ne fait pas tout !
En particulier pour nos jeunes professionnels qui n'entendent plus exercer leur métier comme autrefois et nous devons comprendre et répondre à leurs aspirations. C'est pourquoi j'accorde une attention toute particulière à la formation initiale et continue, à la qualité de vie au travail, à la santé, y compris mentale, des professionnels. Ce sont des déterminants majeurs de l'attractivité des métiers et donc, in fine, de la pérennité de notre système de protection sociale.
Vous avez évoqué une nouvelle consultation, mais tout est déjà sur la table. N'est-ce pas juste une manière de gagner du temps ?
Je ne considère pas qu'associer tous les acteurs soit une perte de temps, surtout quand il s'agit d'un sujet aussi important et concernant la question du grand âge. Je ne nous vois pas faire sans les départements, je ne nous vois pas faire sans les professionnels concernés, je ne nous vois pas faire sans les associations, qui depuis des décennies se mobilisent sur le terrain. Enfin, je ne nous vois pas faire sans les Français, qui sont concernés au premier chef.
Depuis ma nomination en juillet dernier, nous avons voté une proposition de loi « Bien Vieillir » et présenté une stratégie nationale de lutte contre les maltraitances : je n'ai pas l'impression de gagner du temps, mais plutôt d'accélérer.