Certes, tous les Ehpad n'ont pas été touchés par le Covid-19, mais aucun n'a été épargné par la peur du Covid-19. Sans baisser la garde, des équipes témoignent de leur lutte contre le virus...
Derrière les masques
Une directrice autoconfinée pendant 47 jours
« Le moteur de ma démarche a toujours été le résident »
Lundi 6 mars, 16h30 pétantes, l'Ehpad Vilanova de Corbas, près de Lyon, stoppe sur le champ les visites des proches. Douze jours après, la directrice Valérie Martin prend une décision radicale : elle s'autoconfinera avec 29 volontaires...
Des infos alarmantes venaient d'Italie, et là, sous mes yeux, les enfants, petits-enfants, amis touchaient, étreignaient leur parent âgé. Cela m'est apparu comme une évidence : il fallait stopper ça tout de suite. Le conseil de la vie sociale a été de mon avis et le 6 mars à 16 h 30 pétantes, les familles ont été priées de quitter les lieux et j'ai fermé symboliquement les portes de l'Ehpad. Cela a été violent, des familles m'en ont voulu, mais au fil de l'aggravation de la situation dans le pays elles ont commencé à comprendre. Pour moi, la liberté d'aller et venir des résidents dans l'établissement primait sur tout le reste. Le 18 mars, deux jours après le confinement général, là aussi cela m'est apparu comme une évidence : nous devions rester avec les résidents, dans l'Ehpad, comme sous un dôme protecteur. Le moteur de ma démarche a toujours été le résident. Je n'ai pas forcément « rationalisé », disons qu'il s'agissait d'une impulsivité cohérente. Ou d'une « utopie réaliste » comme l'a rapporté un journaliste québécois ? Le 18 mars, je me suis donc autoconfinée avec 29 des 50 salariés qui l'ont accepté, qui ont pu l'accepter devrais-je dire. La vie s'est organisée. Le 19 mars nous avons ouvert une page facebook avec un journal de bord au jour le jour. A l'extérieur la situation dans de nombreux Ehpad m'a confortée dans mon choix avec des décès où les malades mouraient seuls. Je voulais donner aux 108 résidents la possibilité de revoir leur famille.
L'autoconfinement a duré 47 jours, à 13 membres du personnel à la fin. Aucun cas de Covid-19, mission remplie ! Et l'équipe s'est soudée. Aujourd'hui, les familles reviennent avec confiance et nous avons recommencé les visites de pré-admission. Et pour ma part, je me suis lancée dans une écriture romancée tirée de faits réels...
Maire dans le Grand-Est et aide-soignante retraitée
« Mes ex-collègues ont tenu bon, mais à quel prix ? »
Marie-Jo Clément est maire (réélue au 1er tour) de Cornimont dans les Vosges, 3 270 habitants, où se situe l'un des premiers « clusters » de l'épidémie, l'Ehpad public Le Couaroge qui a déploré 25 décès. Elle y a été aide-soignante pendant de nombreuses années.
J'ai travaillé au Couaroge jusqu'à ma retraite en 2013. Il accueille 166 personnes âgées et compte 110 personnels. L'Ehpad comporte deux bâtiments, c'est l'un d'entre eux qui a été touché par le Covid-19 - à ce jour, l'autre, le bâtiment des Myrtilles, hébergeant 50 résidents reste épargné. L'épidémie y a été circonscrite grâce au respect de règles sanitaires strictes mais on a compté jusqu'à 39 arrêts de travail et la sécurité civile a dû intervenir en soutien.
Mes ex-collègues ont tenu bon mais à quel prix ? Vous imaginez une veilleuse a dû vivre trois décès pendant la même nuit ! Travail harassant, souffrance, sentiment de culpabilité parce que les familles n'ont pas pu faire leur deuil, beaucoup auront du mal à reprendre pied. On peut véritable parler de traumatisme. Heureusement, la directrice est une directrice comme j'aurais aimé en avoir une, exceptionnelle d'humanité.
Mais maintenant, il faut le clamer : on ne peut pas être les héros d'une nation puis jetés aux oubliettes après. J'entends parler de primes, de médailles, de jours de congés donnés par des salariés d'autres secteur, non ce n'est pas ça ! Il faut une vraie reconnaissance par le statut et la revalorisation des salaires. Vous savez, ce n'est pas la première fois que le secteur crie au secours, en 35 ans de carrière j'ai connu des grands mouvements, 1988 par exemple.
Et en tant qu'élue, au moment où le président annonce une réforme de l'hôpital, je veux le dire aussi : nous avons dû défendre bec et ongles le centre hospitalier de Remiremont, à 25 km d'ici. Sans ses lits de réanimation et de médecine, que se serait-il passé ? On aurait mis le personnel de l'Ehpad dans une position insoutenable.