Respectivement cadre supérieure en EHPAD et infirmière en MAS1, Michèle Perez-Millan et Elodie Burou-Labrador font face aux mêmes questionnements éthiques. Faut-il annoncer ou pas une mauvaise nouvelle à une personne vulnérable ?
Dire pour ne pas trahir, se taire pour ne pas nuire ?
Si les publics accueillis dans ces structures diffèrent, en raison de leur âge, de leurs pathologies ou de leurs histoires de vie, ils partagent toutefois une grande vulnérabilité liée à leur handicap, leur dépendance physique et/ou cognitive.
La gestion de situations aporétiques est récurrente dans les institutions accueillant ce public très vulnérable. Annoncer ou occulter le décès d'un proche à un résident aux troubles cognitifs avancés constitue souvent un dilemme pour les familles comme pour les équipes. Chacun est animé d'intentions bienveillantes. Cependant, chaque position génère des interrogations, des tensions. Et parce qu'il n'impacte pas les besoins vitaux, le dilemme risque d'être occulté, voire négligé.
Pourquoi choisir le silence ?
Pour protéger une personne aux capacités cognitives altérées, la mauvaise nouvelle est souvent tue. Parce que la grande vulnérabilité inquiète, comme l'explique B. Quentin, les soignants et/ou famille mettent en place le processus de l'empathie égocentrée, des compensations inopportunes2, des analogies abusives3. Dans le Serment d'Hippocrate, les principes de bienfaisance, « Le bien du malade est la loi suprême » et de non malfaisance « D'abord ne pas nuire » sont fondateurs. Le patient doit être considéré dans sa dimension bio-psycho-sociale. Or, décider de ne pas lui révéler un fait, une mauvaise nouvelle, le réduit à sa pathologie. Si l'on transpose à cette situation la règle du double effet4, utilisée en soins palliatifs, l'option du silence ne parait pas opportune.
Pourquoi choisir l'annonce ?
La visée éthique s'impose car le droit, la norme ne répondent pas à la question posée. L'annonce en l'absence de grande vulnérabilité ne se pose pas. Par conséquent, l'émergence même de ce questionnement pour une personne vulnérable le priverait-t-elle du droit de recevoir cette nouvelle ?
« La personne en grande vulnérabilité est-elle une personne ? 5 » interroge S. Pandelé dans La grande vulnérabilité - Fin de vie Personnes âgées, Personnes handicapées. Les principes d'autonomie, de dignité et de justice confortent l'idée que l'annonce doit être faite car la vulnérabilité au nom de ces concepts constitue un signe d'appartenance à l'humanité.
Une annonce à petits pas
La réunion collégiale où prévaut le souci d'identifier les conflits de valeur apparait comme une première étape afin de choisir une direction commune. Cependant, comment réaliser l'annonce ? Face à la complexité, la solution ne réside pas dans des procédures mais dans une approche singulière.
Il s'agit alors de s'adapter, d'accompagner chaque personne en fonction de ses déficiences et de ses troubles. La prise en considération de sa singularité constitue le pilier de cette annonce.
La grande vulnérabilité oblige les professionnels à se dépasser, à chercher le sens, à décoder, mais aussi à renoncer. Affronter cette part d'imprévisibilité nécessite une bonne dose d'humilité.
Il incombe aux soignants de s'inscrire dans une dynamique permanente de créativité, d'ouverture. Les directions, l'encadrement, doivent quant à eux prendre en considération les résidents comme les soignants, afin que l'éthique guide chacun de leurs pas.
Elodie Burou-Labrador, infirmière en MAS, Michèle Perez-Millan, cadre supérieur de santé en EHPAD