436 voix pour, 34 voix contre, et 83 abstentions. L'Assemblée nationale a adopté, avec un large consensus, le 17 mars, la proposition de loi Leonetti/Clayes sur la fin de vie ouvrant le droit à la sédation profonde et continue et renforçant les directives anticipées. Le Sénat devrait examiner à son tour ce texte, en mai ou juin. Entretien avec Jean Leonetti, député UMP des Alpes-Maritimes, auteur de la loi de 2005 sur les droits des malades et la fin de vie, et co-auteur de cette proposition de loi.
" Donner à la France les moyens de développer les soins palliatifs "
Dix ans après la promulgation de la loi Leonetti, la question de la fin de vie est à nouveau en débat au Parlement. Pourquoi légiférer à nouveau ?
Jean Leonetti : La loi de 2005 apporte de réelles avancées en matière d'autonomie et de droits des malades. Elle impose aux médecins le non abandon, la non souffrance et le non acharnement thérapeutique. Pourtant, on meurt encore en souffrant et la parole du malade n'est pas toujours entendue car cette loi est peu connue, en particulier par le corps médical, et mal appliquée. Personne ne conteste ce fait.
Le Comité consultatif national d'éthique et le rapport Sicard l'ont souligné et le gouvernement a reconnu cette carence majeure. Comme la loi de 2005 a été votée à l'unanimité, on a pensé qu'il ne fallait pas de "service après-vote", que son application irait de soit. Malheureusement, ça n'a pas été le cas.
Le deuxième écueil auquel s'est heurtée cette loi est la formation très insuffisante des professionnels de santé, notamment des médecins, à la mort, à la douleur, à la souffrance et à l'accompagnement de la fin de vie. Enfin, la France a encore un grand retard dans le développement des soins palliatifs. Il y a encore de fortes inégalités sur le territoire national : des endroits où les soins palliatifs sont d'une grande efficacité dans la prise en charge, le prendre soin du malade et d'autres où la culture palliative n'a pas pris.
La mesure phare de la proposition de loi Leonetti/Clayes est l'instauration du droit à une "sédation profonde et continue" pour certains patients. Quels sont les changements par rapport à la loi de 2005 ?
JL : La proposition de loi s'inscrit dans l'esprit et la continuité de la loi de 2005. Si elle n'apparaît pas noir sur blanc dans la loi de 2005, la sédation en phase terminale est déjà pratiquée, dans des circonstances assez précises. La sédation profonde et continue jusqu'au décès est désormais décrite dans le texte tout comme les circonstances dans lesquelles elle devait être mise en oeuvre. Cette mesure du texte est un copier-coller des recommandations de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Si le patient est en fin de vie, avec une mort imminente et que ses souffrances ne peuvent être soulagées avec les traitements habituels, on doit le soulager par une sédation profonde et continue jusqu'au décès.
Au devoir des médecins correspond désormais un droit des malades pour inciter l'ensemble du corps médical à changer de culture.
Seuls 2,5% des Français ont rédigé leurs directives anticipées et seulement 5% des résidents en EHPAD. Que prévoit la proposition de loi pour renforcer ce dispositif ?
JL : Dans la loi de 2005, on a fait une erreur d'appréciation et j'en porte une part de responsabilité. J'ai pensé que les directives anticipées devraient pouvoir être écrites sur du papier libre pour laisser plus de facilité et de liberté aux citoyens dans la rédaction de leurs souhaits sur leur fin de vie. C'est en grande partie l'inverse qui s'est produit car il est difficile de remplir une page blanche, de dire ce que l'on voudrait dans une période difficile à imaginer quand on ne se trouve pas avec une maladie avérée et potentiellement mortelle. Il faut désormais s'inspirer de ce qui se fait en Allemagne, en Angleterre ou en Suisse, c'est-à-dire avoir un modèle de directives anticipées qui permette aux citoyens d'inscrire des informations cohérentes.
Par ailleurs, dans le loi de 2005, le médecin avait la possibilité de tenir compte des directives anticipées. Avec ce nouveau texte, pour refuser les directives anticipées, le médecin devra réunir une collégialité et présenter ses arguments. Il fallait rendre les directives anticipées contraignantes sans les rendre opposables.
La Cour des comptes a dénoncé la persistance de retards importants dans le développement des soins palliatifs en France notamment dans les EHPAD. Que faut-il faire ?
JL : Le débat est tellement focalisé sur le "pour ou contre l'euthanasie", qu'on en oublie le problème de la culture médicale, de la diffusion des soins palliatifs, de la fin de vie des personnes dépendantes, de la sous-médicalisation des EHPAD. C'est une tradition française de focaliser sur le changement de la loi. Une satisfaction pour les députés et le gouvernement qui légifère. Mais on néglige l'application de la loi !
La loi de 1999 donne accès à tous les patients en fin de vie aux soins palliatifs. Elle n'est pas appliquée ! En 2002, le patient a le droit de refuser un traitement même si cela interrompt sa vie : pas appliqué ! En 2005, on condamne l'acharnement thérapeutique : pas appliqué !
La France pourra multiplier les législations mais sans moyens pour appliquer ces lois, ce sera un coup d'épée dans l'eau. Aucune loi sur la fin de vie ne pourra être correctement appliquée s'il n'y a pas une culture médicale du prendre-soin et de la non-souffrance et en même temps un développement des soins palliatifs. Si on ne donne pas les moyens à la France de développer les soins palliatifs, dans dix ans on se retrouvera à nouveau à débattre dans l'hémicycle car les malades continueront à souffrir.