Dans le n° 97-octobre 2018  -  Décès des résidents  10094

Donner une place et un temps au deuil en EHPAD

Comment inscrire l'accompagnement du deuil dans les missions de l'EHPAD ? Selon l'analyse croisée de Michel Brioul, psychologue clinicien et Françoise Mohaër, psychosociologue et présidente de la Fédération européenne Vivre son deuil, il faut des rites pour le faire, des mots pour le dire.

« Malgré tous les efforts déployés par un personnel souvent compétent et dévoué, malgré le nom sur la porte de la chambre, malgré les photos posées sur la table de nuit et affichées au mur, l'arrivée en EHPAD est déjà un deuil : deuil d'une vie antérieure, deuil de la liberté d'aller et venir, deuil des amis, deuil du chez-soi. La mort est bien présente, même si elle avance masquée, elle est active dans les consciences. » De l'avis de Michel Brioul, psychologue clinicien, psychothérapeute, formateur et auteur de l'ouvrage « Le temps du deuil en institution médico-sociale, comprendre et soutenir »*, le déni de la mort est encore très présent en EHPAD. « La culture médico-sociale a un système de valeurs qui est du côté de l'autonomie et donc de la vie. La mort vient comme un parasite et donc on ne la traite pas, on fait comment si elle n'existait pas. Elle est occultée, masquée, rien ne se passe dans certains établissements et c'est préjudiciable pour les résidents et les équipes », explique-t-il. Alors que l'EHPAD est le dernier lieu de vie des résidents, que les établissements comptent en moyenne 20 à 25 décès par an, l'accompagnement du deuil ne figure pas toujours dans les missions de l'EHPAD. « C'est là où la mort prend emprise dans le réel qu'elle suscite le plus d'angoisse et qu'elle est beaucoup moins travaillée. »

La résolution des deuils se fait suivant une série d'étapes successives (négation, colère, négociation, dépression, acceptation) comme l'ont établi les travaux d'Elisabeth Klüber-Ross, psychiatre et pionnière de l'approche des soins palliatifs pour les personnes en fin de vie ou encore Sigmund Freud. « Faute d'être préparés aux décès, les professionnels en EHPAD passent par l'étape du déni, du choc, de la culpabilité et la culpabilisation mais le travail de deuil ne se termine pas. Il n'y a pas le passage par la reconstruction. Or, c'est au sein même de l'institution que ce travail de prise en compte des affects doit être fait notamment lors de groupes de parole animés par le psychologue de l'établissement », insiste le psychologue clinicien.

Réinstaurer des rites

Dès lors comment faire évoluer les pratiques professionnelles ? « On considère que les marques d'une civilisation sont la façon dont les vivants prennent en charge les morts. Dans l'EHPAD, il n'y a plus de rites autour de la mort. Il est nécessaire d'instaurer ou réinstaurer des rites importants autour de la mort et du deuil. Ces rites permettent de symboliser la mort et non pas de la subir, de faire en sorte qu'elle existe, qu'elle soit apprivoisée. Il me semble également important de redonner un peu de corps à ce qui a tendance à disparaitre dans les EHPAD : la clinique. En clair, l'énergie dépensée par une équipe à penser, parler, élaborer quelque chose autour de la situation de la mort, de la perspective du décès chez les résidents, de l'impact du deuil chez ces personnes âgées. Les rites sont la mise en actes et la clinique la mise en mots », souligne Michel Brioul.

L'importance de la parole

Spécialiste des questions liées à l'avancée en âge et à l'accompagnement des personnes en fin de vie et des personnes en deuil, Françoise Mohaër, psychosociologue, formatrice et chargée de mission gérontologie à Askoria et présidente de la Fédération européenne Vivre son deuil reconnaît, pour sa part, des avancées en EHPAD.

« Aujourd'hui, il y a davantage d'espaces de paroles autour de la mort, de la fin de vie et du deuil, qu'il y a encore une dizaine d'années. S'il y a une évolution du rapport à la mort en EHPAD, cela ne veut pas dire que l'on en parle plus facilement. Très souvent, ce sont les personnes âgées qui vont en parler aux professionnels. Mais ces derniers détournent moins les conversations qu'autrefois quand le sujet est abordé », explique-t-elle. Et de poursuivre « Vivre son deuil Bretagne a proposé d'organiser des ateliers d'écriture au sein des EHPAD pour parler de la mort, du deuil, de l'absence. Certains établissements étaient réticents par crainte de perturber les résidents. Or, les structures qui ont accepté d'organiser ces ateliers ont pu se rendre compte que cela avait été très riche pour les personnes âgées. Elles ont pu exprimer des souvenirs heureux avec leurs défunts. Ces ateliers ont eu un effet libérateur plutôt que de les plonger dans la nostalgie et la peine ».

Françoise Mohaër insiste sur le fait de la nécessité de la parole lors d'un décès en EHPAD, de l'annonce verbale. « Il faut que l'on marque la mort d'un résident dans l'institution, qu'elle soit annoncée aux autres personnes âgées. Le paradoxe dans les EHPAD est que l'on a tendance à trouver naturel que des gens âgés meurent, alors on y fait moins appel à la parole que dans une structure où la mort peut sembler moins logique. » Une parole également indispensable aux membres du personnel, souvent soumis à des risques psychosociaux élevés. « La mort d'un résident peut réveiller parfois des deuils personnels anciens chez un soignant. Ces résonances émotionnelles doivent pouvoir s'exprimer dans les groupes de parole ». En résumé, des gestes et des mots pour sortir de la culture du silence.



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