Directrice nationale de l'action sociale de la CNAV (Caisse nationale d'assurance vieillesse), Frédérique Garlaud est une femme de conviction, soucieuse de donner du sens à l'action publique comme de terrain. Rencontre.
Du droit à l'action sociale
Quel est votre parcours ?
J'ai effectué des études de droit puis un doctorat de droit social à l'université Panthéon-Assas où j'ai pu enseigner durant quelques années. En parallèle, je me suis engagée bénévolement dans une ville des Hauts-de-Seine où vivait ma grand-mère. Je faisais de l'accompagnement juridique, tous sujets confondus, pour les personnes en difficulté. J'y tenais une permanence juridique pour le Gisti, une structure associative qui accompagne les personnes en situation irrégulière et qui souhaitent obtenir une carte de séjour ou le droit d'asile. C'est dans le cadre de cette activité que j'ai rencontré le maire de la ville qui entendait se présenter à la députation et cherchait quelqu'un pour travailler dans sa collectivité locale. J'ai d'abord été recrutée pour mettre en place une direction juridique et créer un réseau de correspondants dans les différents services de la collectivité. J'ai ensuite travaillé sur les activités parlementaires de ce maire élu député (propositions de lois, projets, questions au Gouvernement...). J'ai alors partagé mon temps entre des activités d'attachée parlementaire et de directrice adjointe de cabinet (de 2003 à 2008). J'ai dès lors beaucoup travaillé en relation avec les administrés, sur le volet social de la collectivité mais sur tous les sujets (politique personnes âgées, projet de réhabilitation urbaine, médiation, concertations avec les mises en place de conseils de quartier...). Cette expérience m'a permis de sortir de ma zone de confort de formation initiale, et d'apprendre agilité, polyvalence et diversité de l'action publique locale.
Aviez-vous une ambition politique ?
Aucune. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu acquérir une expérience dans une autre collectivité. J'ai alors intégré la ville de Paris, durant un an, comme secrétaire générale adjointe d'un groupe d'élus. Paris est à la fois une municipalité et un département, ce qui m'a permis d'intervenir sur des dossiers de nature différente tout en prolongeant mon expertise sur les sujets sociaux et d'urbanisme.
L'utilité et le sens dans l'action publique m'importent beaucoup. J'ai alors passé le concours de la magistrature et me suis parallèlement intéressée à l'univers de la sécurité sociale. Le poste de responsable des relations institutionnelles à la Cnav représentait une transition intéressante que j'ai choisi de privilégier par rapport au métier de magistrat. Il me permettait de découvrir un autre environnement d'action publique tout en capitalisant sur mes expériences passées. Ce poste couvrait le champ des instances de la Cnav, dont le conseil d'administration composé des partenaires sociaux, les relations avec la tutelle, la gouvernance d'une caisse nationale, les relations presse du président, du directeur et de l'institution Cnav, ainsi que la documentation interne qui produit les revues de presse et la veille documentaire.
Ce premier poste à la Cnav m'a permis de découvrir l'action des partenaires sociaux au sein de notre système de sécurité sociale et d'appréhender les missions de l'institution avec le double prisme des directions porteuses des dossiers et du débat nourri par les partenaires sociaux. J'ai ensuite candidaté au poste de directrice nationale de l'action sociale retraite de la Cnav car je trouvais pertinent de rejoindre une direction « métier » au sein de la sécurité sociale et de travailler sur un domaine qui resterait d'actualité durant de très nombreuses années compte tenu du vieillissement démographique. Aujourd'hui, la politique d'action sociale retraite de la Cnav est entièrement tournée vers l'accompagnement de la vie à la retraite jusqu'à la prise en charge des premières fragilités associées au vieillissement.
C'est un enjeu politique de long terme...
Oui je trouvais passionnant de participer à l'évolution d'une politique publique qui allait devoir se transformer. Quand on regarde l'histoire de l'humanité, y compris à l'échelle du monde, elle est pour l'essentiel le reflet de son histoire démographique. Ce rapport démographique est en train de s'inverser durablement et aura nécessairement des effets sur notre système de protection sociale. En 1946, date de création du système de protection sociale, la France comptait 40 millions d'habitants, dont 30 millions avaient moins de 20 ans ; aujourd'hui, sur les 68 millions d'habitants, 16 millions seulement ont moins de 20 ans. La Sécurité sociale va donc nécessairement devoir s'adapter. Or, le champ de l'action sociale extra-légale laisse aux organismes de sécurité sociale de réelles marges de manoeuvre pour expérimenter de nouvelles réponses, nouveaux partenariats et encourager les innovations sociales aussi bien au niveau national qu'à l'échelle des caisses régionales de notre réseau.
Dans le contexte de la création du 5e risque de sécurité sociale et d'une nouvelle branche autonomie, la question de la transition démographique, du vieillissement et de la politique autonomie va par ailleurs être désormais débattue annuellement par la représentation nationale dans le cadre de chaque PLFSS. Ces débats viendront également nourrir l'action sociale retraite.
Quels sont les grands points de vigilance aujourd'hui ?
La démographie est têtue. Notre modèle social va se transformer. La question reste de savoir si on anticipe et accompagne de manière volontariste cette transformation ou si on choisit de laisser ces phénomènes lents mais irrémédiables se produire par eux-mêmes. L'enjeu est de réussir à sortir d'une vision réduite à la seule question de la « réparation », de la prise en charge des personnes dépendantes et des frais de santé pour réfléchir à une politique beaucoup plus transversale où la prévention tout au long de la vie occupe une place centrale tout comme la prise en compte de la diversité des parcours de vie. Il faut faire une vraie place à la prévention, entendue comme la promotion d'un vieillissement actif en santé. Il y a un réel enjeu à convaincre chacun qu'il est essentiel de concevoir un projet de vie à la retraite, d'être actif et acteur de son vieillissement. On sait déjà aujourd'hui que deux facteurs essentiels influent significativement sur notre « capital autonomie » et la manière dont on va vieillir : l'activité physique et le lien social. L'investissement reste pourtant insuffisant pour promouvoir ces deux leviers. La transition démographique est trop souvent présentée comme une transition qui s'accompagne de dépenses nouvelles sans relever qu'elle est aussi porteuse de nombreuses opportunités.
À titre d'exemple, on voit à notre échelle que la silver économie et l'innovation sont un potentiel de croissance économique incroyable, qui s'appuie sur un lien étroit entre les générations. 90 % des porteurs de projets que nous soutenons via notre dispositif Vivalab ont moins de 40 ans. La longévité peut être un facteur de rapprochement, de renouvellement des liens intergénérationnels.
Qu'est-ce que Vivalab ?
Ce dispositif, qui fédère autour de la Cnav et des Carsat, la banque des territoires, des régimes de retraite et France active, s'appuie sur des coordinations locales. Chacune doit repérer les projets de son territoire, les sourcer pour dresser une cartographie consolidée de ce qui émerge et éviter les redondances de financement. Nous nous adressons aux porteurs de solutions, de nouvelles réponses techniques, technologiques et de service, qui favorisent le vieillissement actif en santé.
Ce dispositif a été créé en février 2019. Nous avons démarré à l'été après avoir défini des critères d'éligibilité, réalisé des diagnostics nécessitant des expertises fines. Aujourd'hui nous comptons 25 solutions accompagnées pour plus de 1 000 projets déposés, avec un important travail d'instruction, d'identification de la fiabilité de la solution et de ses besoins pour la sécuriser dans le temps et sélectionner des solutions qui nous semblent avoir un potentiel au moins inter-régional sinon national.
Ces 25 solutions ont permis la création de 100 emplois. 11 solutions ont aujourd'hui fini leur accompagnement, et 6 sont déjà prescrites par certaines Carsat pour améliorer des accompagnements ou soutenir des accompagnants. Cette illustration montre le nécessaire changement de regard sur le vieillissement.