Crise des EHPAD, crise du secteur du domicile, crise des urgences hospitalières... La prise en charge des personnes âgées dépendantes est en déliquescence. La ministre des Solidarités et de la Santé multiplie les commandes de rapports, lâche quelques enveloppes, met en oeuvre des mesures mais sans convaincre les professionnels.
EHPAD et Urgences, unis dans la galère
« Zéro passage aux urgences des personnes âgées » d'ici cinq ans. C'est l'objectif ambitieux inscrit dans le plan de refondation des urgences présenté, le 9 septembre, par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé. Les douze mesures de ce plan, doté de 754 millions d'euros sur la période 2019-2022, dont 150 millions d'euros pour l'année 2020, sont toutes destinées à « lever la pression » sur les services d'urgences, les établissements de santé et les acteurs de ville du système de santé. La crise des urgences qui dure depuis six mois concerne à plus d'un titre le secteur du grand âge. « 45% des passages aux urgences suivis d'une hospitalisation complète concernent des patients âgés de 65 ans, et 36% des hospitalisations de personnes de 75 ans et plus débutent par un passage aux urgences », a rappelé la ministre.
Organiser un parcours structuré
Si 340 millions d'euros seront consacrés à la mise en place, à l'été 2020, d'un "service d'accès aux soins" (SAS) accessible en ligne ou par téléphone, qui fournira l'information et l'orientation sur tout le territoire pour toutes leurs questions de santé, la création de « filières d'admission directe » des personnes âgées est la seconde mesure la plus coûteuse du plan. La ministre a, en effet, prévu d'attribuer 175 millions d'euros pour aider les hôpitaux qui organiseront « un parcours structuré de qualité, avec une équipe hospitalière en charge d'assurer l'accueil direct dans le service adéquat ou en EHPAD ».
Agnès Buzyn a annoncé également vouloir créer et renforcer les équipes mobiles de gériatrie (EMG) « pour appuyer à la fois les équipes des EHPAD et les professionnels libéraux ». Elle compte à nouveau sur les effets positifs de la généralisation du dispositif d'astreinte mutualisée d'infirmières de nuit en EHPAD. Pour réduire les durées d'hospitalisation des personnes âgées, la ministre souhaite inciter au recours à l'hébergement temporaire en EHPAD post-urgences grâce à une baisse du reste à charge des patients (20 € par jour contre environ 70 € actuellement).
Ces trois propositions ont un air de déjà-vu... Elles figuraient déjà dans la feuille de route « Grand âge et autonomie » d'Agnès Buzyn présentée en mai 2018. Confrontée alors à la crise des EHPAD, la ministre avait là-aussi débloqué quelques enveloppes : 36 millions d'euros pour la généralisation de la présence d'infirmiers de nuit en EHPAD d'ici à 2020 ; 15 millions d'euros pour la création, dès 2019, de 1 000 places d'hébergement temporaire en EHPAD pour les personnes sortant d'hospitalisation ; et 16 M€ destinés à renforcer d'ici 2022 les équipes mobiles gériatriques.
A toutes ces mesures déjà programmées, elle ajoute une enveloppe de 15 millions d'euros pour développer la vidéo-assistance, c'est-à-dire le transfert de flux vidéos entre l'appelant et le médecin régulateur du SAMU. L'objectif est de permettre au médecin régulateur d'échanger avec un professionnel qui se trouve aux côtés du patient (infirmier ou aide-soignant en EHPAD par exemple). « Les solutions techniques et sécurisées sont déjà prêtes, avec l'utilisation d'un portail web permettant aux médecins régulateurs de déclencher à distance la caméra du téléphone portable des appelants, avec leur accord », a précisé le ministère.
Mise en oeuvre impossible
L'ensemble de ces annonces n'a pas convaincu les représentants des personnels soignants. Le Collectif Inter-Urgences et l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf) réclament la « réouvertures de lits », la création d'emplois dans les hôpitaux ainsi que dans les EHPAD et des revalorisations salariales. Pour FO Santé, « ces velléités de fluidification dans les services d'urgences mais sans moyens supplémentaires n'ont aucun sens ». Le syndicat n'est pas non plus convaincu du réalisme du « zéro personnes âgées » à passer aux urgences dans un contexte de pénurie de personnels et de moyens. « La mise en oeuvre de cette mesure s'adressant à la filière gériatrique et notamment pour les résidents des EHPAD est impossible tant que les établissements seront sous dotés en lits et régulièrement sous tension. De plus, les EHPAD sont d'ores et déjà sous médicalisés au regard de ce que souhaite la Ministre », juge le syndicat FO santé.
Crise globale d'organisation
Pour sa part, le Pr Olivier Guérin, président de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG) estime, dans un communiqué en date du 13 septembre, que les mesures annoncées par Agnès Buzyn « vont dans le bon sens », tout en rappelant que la crise des urgences est « le symptôme d'une crise globale d'organisation du soin non programmé ». Et de poursuivre : « Bien sûr, la question des moyens se pose, mais c'est l'organisation de l'amont (soin de premier recours avec les généralistes) et de l'aval à l'hôpital (filières patients âgés) qui pose problème. [...] « L'admission directe fait partie des solutions mais pas seulement : l'organisation de plateaux de post-urgence avec des professionnels polyvalents dont des gériatres et les spécialistes d'organes est également à mettre en place ». Pour résoudre le problème de l'admission des personnes âgées aux urgences - qui représente 10% des admissions totales -, la SFGG demande la généralisation d'une astreinte téléphonique de régulation pour les admissions non programmées en direct, comme pour la sécurisation des sorties en lien avec les soins de premier recours en ville et la mise en place de compétences gériatriques dans les régulations SAMU. La société de gériatres plaide également en faveur de la présence d'un Infirmier en pratique avancée en gérontologie (IPAG) aux urgences, mais aussi dans les services de médecine non gériatrique dans les hôpitaux. En somme, une vraie refondation d'ampleur.