Depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017, le « comité social et économique» (CSE), est amené à se substituer aux actuels délégués du personnel dans les entreprises d'au moins 11 salariés et aux trois instances, délégués du personnel, comité d'entreprise et CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans les entreprises d'au moins 50 salariés.
Expertise du comité social et économique (ex CHSCT) : comment contester ?
Les comités sociaux et économiques peuvent être mis en place depuis le 1er janvier 2018. Des dispositions transitoires sont prévues pour les entreprises déjà dotées d'instances représentatives du personnel avec pour date butoir le 1er janvier 2020.
Dans le cadre de ce nouveau dispositif, des expertises peuvent toujours être décidées par les instances représentatives du personnel.
1/. Les cas dans lesquels le CHSCT peut décider la réalisation d'une expertise
En vertu de L. 2315-94 du Code du travail, le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État :
1- Lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement ;
2- En cas d'introduction de nouvelles technologies ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévus au 4° de l'article L. 2312-8 ;
3- Dans les entreprises d'au moins 300 salariés, en vue de préparer la négociation sur l'égalité professionnelle.
A l'exception du 3°), ce texte reprend pour l'essentiel les anciennes dispositions de L. 4614-12 du code du travail au visa desquelles la Cour de cassation avait apporté d'importantes précisions jurisprudentielles.
2/. Une première approche : contester la décision du CHSCT dans les 15 jours de son adoption
Au même titre que dans le cadre du droit antérieur, l'employeur peut, en vertu de l'article L. 2315-86 du Code du travail, contester devant le juge judiciaire statuant en référé :
la délibération décidant le recours à l'expertise s'il entend contester la nécessité de l'expertise,
la désignation de l'expert s'il entend contester le choix de l'expert.
L'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, le choix de l'expert, le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise, ou encore son coût final, doit saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés dans un délai de dix jours (article R2315-49 du Code du travail).
Dans le cadre de ce contentieux, et ce en vertu d'une jurisprudence constante, il appartient au CHSCT qui se prévaut d'un tel risque d'en fournir la preuve (CA Bourges 3-3-2011 n°10/1306 ; CA Paris 26-3-2008 n° 07/19553) et au juge d'analyser les éléments produits devant lui pour en apprécier la réalité.
A défaut, le juge retient l'absence de nécessité de recourir à l'expertise, notamment, lorsque :
il n'est démontré l'existence d'aucun incident précis,
l'absentéisme des salariés présente un caractère stable sans rapport avec une situation de travail commune à l'ensemble des salariés,
les troubles de santé des salariés présentent un caractère isolé,
il n'existe aucun élément objectif susceptible de caractériser un risque avéré, actuel et identifié, (notamment, Cass. soc. 26-1-2012 n° 10-12.183 F-D ; Cass. soc. 7-5-2014 n° 13-13.561 F-D).
Récemment, la Cour de cassation a rappelé que le recours à l'expertise était enfermé dans des conditions rigoureuses. Ainsi, dans un arrêt du 12 juillet 2016, la Cour de cassation a confirmé l'annulation d'une délibération d'un CHSCT décidant le recours à l'expertise s'agissant de deux projets de réorganisation de centres de relation clients, à savoir l' évolution du logiciel utilisé par les conseillers clients et la modernisation de la solution téléphonie.
La Cour a ainsi rejeté la demande du CHSCT en relevant l'absence d'incident précis, le caractère stable de l'absentéisme sans rapport avec une situation de travail commune à l'ensemble des salariés, le caractère isolé des troubles de santé de deux salariés, l'objectif seulement salarial d'un mouvement de grève de deux jours et enfin, l'inexistence d'éléments objectifs susceptibles de caractériser un risque avéré, actuel et identifié.
3/. Une voie de recours subsidiaire : la contestation du coût final de l'expertise
Les honoraires de l'expert sont dorénavant pris en charge à hauteur respectivement de 20 % par le CSE, sur son budget de fonctionnement, et de 80 % par l'employeur pour :
l'expertise décidée dans le cadre de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques de l'entreprise,
et pour les expertises légales ponctuelles relatives aux opérations de concentration, à l'exercice du droit d'alerte économique, aux offres publiques d'acquisition ou à l'assistance des organisations syndicales pour préparer la négociation des accords sur l'emploi susmentionnés.
Demeurent donc à la charge exclusive de l'employeur, les coûts afférents aux expertises portant sur :
les consultations récurrentes sur la situation économique et financière et sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi,
les projets de grands licenciements collectifs pour motif économique (PSE) et en cas de risque grave constaté dans un établissement.
En vertu de l'article L. 2315-86 (4°) du Code du travail, l'employeur peut donc toujours contester le coût final de l'expertise. Le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine.
Il convient de noter que la Cour de cassation reconnaît au juge le pouvoir de procéder, après une expertise, à une réduction du montant des honoraires de l'expert au vu du travail effectivement réalisé par ce dernier (Cass. soc., 15 janv. 2013, n° 11-19.640).
Il est à cet égard possible de citer les exemples jurisprudentiels suivants concernant les comités d'entreprises, mais à notre sens transposable au nouveau « comité social et économique », à savoir :
l'absence de justification du montant des frais supplémentaires, notamment de déplacements figurant sur la note d'honoraires (CA Rennes, 10 oct. 2013, no 12/06590),
la remise d'un rapport inconsistant (CA Versailles, 29 janv. 2014, no 13/04060), comportant des développements inutiles (CA Paris, 6 mars 1985, no L 12807) ou majoritairement constitué de tableaux fournis par l'employeur (CA Reims, 10 mai 2000, no 97/03340),
la facturation de travaux de compréhension, d'approche, d'analyse de l'organisation et du fonctionnement de l'entreprise alors que l'expert-comptable était déjà intervenu (Soc. 24 oct. 2012, n°11-24.595).
Par Me Pierre-Yves Nauleau
Cabinet Claisse & Associé
Avocat, directeur du pôle médico-social et santé