Le gouvernement a promis une « ambitieuse » réforme « grand âge et autonomie », il lui faut désormais trouver les sources de financements nécessaires. Le rapport Libault et les contributions recueillies lors du Grand Débat National alimenteront la réflexion. Ce chantier s'engage dans un contexte social tendu avec la crise des "Gilets jaunes" et l'ouverture du dossier ultra-sensible de la réforme des retraites.
Financement de la dépendance : l'heure des choix est venue
« Les prochains mois vont être essentiels pour construire cette loi dont la France a besoin ». Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé a promis, le 12 mars lors des Assises nationales des EHPAD à Paris, que le gouvernement passera « à l'action » quelques semaines après la remise du rapport Libault, en vue d' « apporter des solutions immédiates et des solutions de long terme » à la prise en charge de la dépendance. Remis le 28 mars au gouvernement1, le rapport de Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale, synthétise l'ensemble des enseignements issus des travaux de la concertation « Grand âge et autonomie ». Le futur projet de loi sur la prise en charge de la perte d'autonomie devrait dépasser la stricte question du financement et mettre en oeuvre un « changement de modèle ». Néanmoins, l'argent reste le nerf de la guerre pour mener les réformes nécessaires afin de faire face au choc démographique lié au vieillissement de la population.
« On ira chercher de l'argent pour le faire », s'était engagé, il y a un an, le président de la République. En juin, devant le congrès de la Mutualité française, Emmanuel Macron avait remis à l'ordre du jour la piste du cinquième risque, qui viendrait s'ajouter aux quatre branches existantes de la Sécurité sociale (maladie, accidents du travail, retraite, famille). Il avait évalué le coût de la dépendance pour la « solidarité collective » entre 9 et 10 milliards d'euros.
La cagnotte de la CADES
Ces derniers mois une piste de financement a les faveurs de nombreux acteurs du secteur : mobiliser les prélèvements affectés à la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale. Et c'est cette même hypothèse que les membres de l'atelier « nouveaux financements » privilégient également dans leur pré-rapport rendu à Dominique Libault à l'issue de la concertation "grand âge et autonomie".
Créé en 1996 pour financer et amortir la dette sociale, la Cades dispose pour cela de trois ressources actuellement sous la forme de la CRDS (Contribution au redressement de la dette sociale), de 0,6 point de CSG et d'une contribution annuelle de 2,1 milliards d'euros du Fonds de réserve des retraites. Une fois le « trou de la sécu » rebouché en 2024, et à prélèvements obligatoires inchangés, une manne de 24 Mds d'€ (dont 9Mds d'€ de CRDS) - estimation haute - sera à la disposition des pouvoirs publics et pourrait donc être réaffectée au financement de la prise en charge de la perte d'autonomie.
« Il n'y a aucun doute qu'une partie de cette somme sera consacrée à la dépendance », avait estimé Jean-Louis Rey, président de la CADES, en décembre dernier. Ce scenario est privilégié sur une hausse des prélèvements obligatoires, que cela soit par une nouvelle journée de solidarité ou une augmentation de la fiscalité sur les successions. Deux solutions qui sont loin de suffire pour couvrir l'ensemble des besoins. Par ailleurs, pour répondre aux besoins de financements immédiats, deux pistes seraient envisageables : affecter tout ou partie des excédents des branches de la Sécurité sociale ou mobiliser le Fonds de réserve des retraites (FFR) dont les réserves actuelles s'élèvent à 29 Mds d'€.
S'agissant des options de financement privé, le groupe de travail a jugé le marché de l'assurance dépendance « peu mature » et « de taille modeste ». Pour faire face au reste à charge en établissement, il propose de favoriser la mobilisation du patrimoine financier et immobilier des ménages à travers le développement de l'épargne retraite et des outils viagers modernisés.
Risque de téléscopage
Quels scénarios seront retenus par le gouvernement ? Cette réflexion sur le futur projet de loi grand âge va démarrer alors que le gouvernement est toujours en prise avec la crise des "Gilets jaunes" et engage un autre chantier sensible, celui de la réforme du systèmes des retraites dont un projet de loi est attendu après les élections européennes du 26 mai. Et le risque de télescopage entre les deux dossiers ne s'est pas fait attendre. Alors qu'Emmanuel Macron avait promis lors de sa campagne présidentielle de ne pas toucher à la borne légale des 62 ans, une petite musique s'est fait entendre sur le report de l'âge de départ à la retraite pour financer la prise en charge de la dépendance.
La première note a été lancée, le 17 mars, par la ministre des Solidarités et de la Santé, suivie par le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Édouard Philippe, le Premier ministre et Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites ont réagi, le 20 et 21 mars, en affirmant que l'âge de départ à la retraite ne sera pas modifié. Sans toutefois exclure que cette question revienne dans le cadre de la loi sur le grand âge. Le haut-commissaire a estimé qu'il y avait une « étanchéité » entre « l'enjeu de sécurité sociale » que sont les retraites et « l'enjeu de santé » représenté par le financement de la dépendance. Une étanchéité qui n'est pas au goût des syndicats puisque « cela n'avait jamais été évoqué ni dans le cadre de la mission Libault ni dans celui de la concertation retraite », a répliqué le syndicat FO.
Le choix des modes de financement de cette future loi "grand âge" s'annonce être un exercice délicat.