L'avancée en âge peut aussi faire émerger des inégalités sociales qui fabriquent des « vieux précaires » et invisibles.
Françoise Fromageau - Médecin
Qui êtes-vous ?
Née à Brest, babyboomeuse et revenue vivre en Pays Bigouden vingt-cinq ans après, je rêvais de bord de mer après des études de médecine en plein Paris. Un choix de vie évident à l'époque (1968 n'était pas si loin ) et la chance d'être accueillie et accompagnée dans mes premiers pas de médecin dans un hôpital de proximité à taille humaine.
Des engagements militants qui me font voyager du Larzac où nous étions nombreux à être propriétaires fonciers, aux côtes de la Bretagne Nord lors du naufrage de l'Amaco Cadiz sans oublier la lutte pour le Droit des Femmes avec l'adoption de la loi Veil et cette nécessité d'informer les jeunes pour que chacun puisse choisir en toute conscience et ça c'était avant les années SIDA. Je mesure au quotidien ma chance d'exercer un métier qui me fait grandir tous les jours, de vivre dans un pays de libertés et de rencontrer des personnes formidables qui donnent du sens à mes engagements et me permettent de penser que l'on peut changer le monde.
40 ans après... toujours médecin dans un hôpital, ouvert sur son territoire participant au service public hospitalier. Un hôpital qui accueillait de la naissance à la mort, un repère (repaire) structurant dans la vie des Bigoudens (habitants du Pays Bigouden), un lieu de soins, un lieu de rencontre où les familles se retrouvent le jour du marché (le jeudi), coiffes juchées sur la tête pour les femmes, faisant résonner la langue bretonne dans les couloirs. Un combat permanent avec les autorités sanitaires pour conserver maternité, chirurgie, SMUR, combat mené avec les élus et les patients pour garder en proximité une offre de soins de qualité. Une petite structure où les projets se construisent en transversalité, répondant aux besoins du territoire et en lien avec les acteurs de soin du domicile. Cette interconnaissance, cette confiance mutuelle permet d'être plus pertinent dans l'accompagnement du parcours de soin des personnes âgées et de souligner l'importance de l'environnement psychosocial comme élément majeur de prévention de la perte d'autonomie.
Comment voyez-vous évoluer le secteur du vieillissement ?
Le secteur du vieillissement : faut-il vraiment sectoriser les tranches de vie, segmenter des Politiques Publiques induisant des effets de seuil en terme d'âge, de raisonner « publics cibles » et de proposer des solutions adaptées et pensées à la place des personnes concernées ? Le vieillissement s'inscrit dans un parcours de vie, il peut être la continuité d'une existence riche et comblée et alors vieillir rime avec chance mais l'avancée en âge peut aussi faire émerger des inégalités sociales qui fabriquent des « vieux précaires » et invisibles. L'accès aux soins, les progrès de la médecine font gagner à chacun de nos concitoyens quelques années de vie qui nous obligent collectivement à offrir à chacun(e) la promesse d'une qualité de l'autre côté de l'existence et de rester citoyen jusqu'au bout du chemin. Prendre soin des personnes vieillissantes, recueillir leur parole et leurs histoires de vie constituent pour nous, accompagnateurs, des rencontres essentielles, des leçons de « longévité » qui nous guident et donnent du sens à nos engagements professionnels.
Y a t-il une valeur spécifique à être une femme dans ce secteur ?
Les métiers du Soin, du Care sont à ce jour des métiers majoritairement exercés par des femmes. Est-ce une place imposée, une place assignée, une place déléguée aux femmes ? La prise en soins et l'accompagnement des plus vulnérables contribuent à la santé et au bien-être des personnes mais ce lien de soin, ce lien vital réinterroge la relation d'aide et par là même la place et le rôle de la personne aidante. Changer le regard sur la personne accompagnée, la considérer comme une personne à part entière transforme ce lien de soin en lien de réciprocité et d'humanité. Ces métiers essentiels imposent le respect et la reconnaissance car ils contribuent au-delà du soin à construire du lien citoyen et solidaire. Nous devons tous bousculer nos représentations et la rencontre avec des hommes, aidants principaux d'épouses ou de mères vulnérables, contribue à changer notre regard sur cette assignation séculaire des femmes aux métiers du Care. Prendre soin de l'autre, exercer une veille solidaire de proximité auprès des plus fragiles engage chacun d'entre nous mais valorise également l'engagement des professionnels(les), espérons que cela puisse renforcer l'attractivité de ces métiers d'avenir auprès des femmes bien sûr mais aussi de hommes.