Interrogé sur les actions de dépistage et d'équipement à destination des plus âgés, Matthieu Gerber, président de la société Les Opticiens Mobiles, n'y va pas par quatre chemins. « Il faut créer un lien de confiance et favoriser la délégation de tâches entre ophtalmologistes et opticiens ». Interview.
« Il faut arrêter d'avoir peur »
Comment collaborent aujourd'hui les ophtalmologistes et les opticiens ?
En 2020, on comptait 5 900 ophtalmologistes et ce chiffre risque de peu évoluer dans les 20 prochaines années. Pourtant les besoins, qui sont déjà énormes, vont aller croissants. Les ophtalmologistes n'ont ni le temps, ni le matériel pour se déplacer à domicile ou en Ehpad auprès des plus fragiles. Difficile dans ces conditions d'assurer le suivi des personnes en perte d'autonomie. Et c'est d'autant plus catastrophique qu'on connait l'impact de la perte visuelle ou auditive sur les interactions sociales des personnes âgées, les risques de chutes et leurs conséquences, la malnutrition... Autant d'effets qu'il est possible de limiter en intervenant au plus près des besoins. Une étude de l'Inserm révélait d'ailleurs que 40 % des personnes âgées de 78 ans et plus portaient des lunettes inadaptées à leur vue... Ça laisse plus que songeur.
Pourtant en 2019 une loi sur la réfraction autorisait les opticiens à réaliser des bilans...
Oui à titre expérimental, pour trois ans et dans quatre régions. Mais le décret n'a jamais été publié. Depuis, la Covid est passée par là, stoppant toutes initiatives. Dans le fond, je pense que c'est une bonne chose. Pourquoi publier un décret visant à mener une expérimentation en Ehpad alors que la filière en santé visuelle ne s'occupe pas de ces patients-là ? Maintenant il faut agir concrètement, et nous permettre de réaliser des bilans visuels complets, interprétés et validés par les médecins ophtalmologistes. Nos missions sont complémentaires et cette délégation de tâches nous permettrait de prendre en charge des patients délaissés pour éviter le non-recours aux soins. Avec Les Opticiens Mobiles, nous intervenons depuis maintenant 6 ans, dans les Ehpad et à domicile, à la demande des médecins coordonnateurs, des soignants, des familles ou des personnes elles-mêmes. 70 % de nos clients sont des personnes fragiles, preuve s'il en faut que la demande existe.
On a le sentiment que ça commence à bouger du côté des autorités de santé ?
Oui. Un rapport de l'Igas publié fin 2020, et plus récemment, le 18 février dernier un rapport de la Haute Autorité de santé sur les télésoins en optique, indiquait que des solutions techniques permettent aujourd'hui de réaliser des actes de réfraction à distance « avec la présence d'un professionnel de santé sur place (auxiliaire médical, assistant médical, etc.) et d'un opticien à distance. Ces solutions pourraient être déployées en Ehpad, en MSP, etc. pour répondre aux besoins croissants de la filière et améliorer l'accès aux soins. »
Le 100% santé représente-t-il une avancée ?
Ce dispositif a permis d'uniformiser les devis et de clarifier l'offre. Cela en facilite la compréhension par les usagers, qui peuvent désormais comparer les propositions. Le 100 % Santé permet de réduire le reste à charge sur l'équipement. Il figure aussi en première position sur le devis normalisé, ce qui ne le place pas pour autant en produit « bas de gamme », bien au contraire. 34 montures et des verres de qualité ont été sélectionnés pour cette offre. Après, si les usagers veulent des options plus techniques ou des montures de marque, cela relève d'un choix individuel. Ce panier de soins est surtout un moyen de lutter contre le non-recours, en favorisant l'accès à des équipements sans reste à charge. Les évolutions à venir doivent maintenant faciliter l'accès aux professionnels de santé sur les lieux de vie en intégrant le service et le déplacement dans l'offre 100 % Santé.