Un an après sa prise de fonctions, Michèle Delaunay, ministre déléguée aux Personnes âgées et à l'Autonomie fait un point sur les grands dossiers : loi Autonomie, Silver économie, soutien aux aidants... Elle reprécise également la mission des Ehpad.
" Il faut chaque année améliorer le taux d'encadrement dans les Ehpad "
La loi Autonomie est prévue pour la fin de l'année. Pouvez-vous nous en tracer les grandes lignes ?
Comme je l'ai déjà annoncé, le projet de loi Autonomie comprendra trois volets : Anticipation, Adaptation, et Accompagnement. La France, avec ce projet de loi, va donc retrouver son triple A, et ce sera un triple A social ! L'anticipation couvre tout le champ de la prévention. L'adaptation de la société au vieillissement de la population concerne les logements, les transports, l'urbanisme, l'aménagement du territoire, etc. Et enfin l'accompagnement de la perte d'autonomie, au domicile comme en établissement, correspond à ce que l'on appelle la réforme de la dépendance. Nous devons rendre les maisons de retraite financièrement accessibles à tous les Français, en particulier aux classes moyennes. Certaines personnes quittent les Ehpad pour des raisons financières... Il nous faut améliorer les aides publiques, mais en prenant garde à ce que cette amélioration ne soit pas le prétexte à une augmentation des tarifs des établissements, et ne produise pas d'effet d'aubaine. Je veux également donner de la lisibilité au paysage : CLIC, CCAS, MAIA... tout cela est compliqué pour les personnes âgées et leurs familles. Je souhaite que la gouvernance soit redéfinie, tant au niveau national que local. Certains arbitrages doivent être faits, en respectant tous les acteurs, à commencer par la CNSA et les départements.
Ce projet de loi Autonomie doit être prêt en fin d'année. Il est aujourd'hui en cours d'élaboration, et vous ne m'en voudrez pas de ne pas vous en livrer les grandes mesures, puisque celles-ci ne sont pas encore arbitrées. Il faut par exemple décider où et comment auront lieu les rendez-vous de prévention. Certaines mesures relèvent par ailleurs de décisions interministérielles. Ainsi, sur le volet Adaptation, nous travaillons en excellent partenariat avec la ministre de l'Égalité des territoires et du Logement Cécile Duflot.
Les EHPAD sont de plus en plus médicalisés. Que dit la Loi Autonomie sur leur rôle, celui des logements-foyers ?
Le fondement de nos choix repose sur la volonté des Français de vieillir à domicile. Cette notion de domicile doit être élargie à toutes les formes de domicile par exemple le logement-foyer, la résidence-service, le béguinage... qui se fondent sur l'idée qu'on est autonome, dans son logement, avec l'aide de services à la personne et de produits adaptés, et à proximité des aides et services. Il nous faut revoir les conditions d'entrée et de maintien dans les foyers logements, qui aujourd'hui sont trop restrictives. Quant aux Ehpad, il faut que, chaque année, nous fassions un pas en avant dans l'amélioration du taux d'encadrement dans les établissements. Pour 2013, j'ai débloqué 147 millions d'euros pour la médicalisation et un supplément de 15 millions. Et j'ai obtenu une autorisation d'engagement sur le budget de 2014. En d'autres termes, les conventions tripartites pourront être négociées plus tôt et les professionnels seront à l'oeuvre dans les établissements au 1er janvier 2014. Et je me suis engagée à poursuivre dans cette voie. Ce n'est pas facile car le PLFSS est un objet de combat. Ce qu'on obtient, on le prend à d'autres !
Vous êtes souvent sur le terrain. Quelle vision avez-vous des EHPAD ?
Je vois en moyenne un Ehpad par semaine... je constate que les établissements acquièrent une connaissance toujours meilleure de la prise en charge de la maladie d'Alzheimer. L'architecture progresse aussi beaucoup : les besoins, les objectifs sont mieux définis. Il y a une véritable ambition, et ce, aussi bien dans le public, l'associatif que le privé. J'ai vu récemment à La Rochelle un très bel établissement public, avec vue sur mer. Le maire a mis le terrain à disposition, alors même que celui-ci était convoité par un promoteur pour construire un hôtel 5 étoiles. Le bénéfice est triple?: les résidents y vivent mieux, leurs familles viennent les voir plus volontiers et les équipes ont de meilleures conditions de travail. Je suis admirative des équipes, à 90 % féminines, qui font preuve d'un engagement et d'une empathie exceptionnels.
La majorité des Français souhaitent vieillir chez eux. Dans ce but, Arnaud Montebourg et vous-même avez récemment organisé le lancement de " la Silver Economie "...
Le lancement de la Silver économie a connu un succès considérable. Quand j'ai lancé l'idée l'été dernier, je n'imaginais pas que nous réunirions plus de 600 personnes à Bercy quelques mois plus tard?! Les Français doivent comprendre que l'allongement de la durée de vie est une opportunité, pas seulement une charge. Tout le travail de notre Ministère est de faire que l'avancée en âge soit vue de façon positive. Un tiers de la population va bientôt avoir plus de 60 ans, et aura une vieillesse d'une durée moyenne de trente ans. Quelle chance?! Qui plus est, le secteur est largement créateur d'emplois. Selon la DARES, les services à la personne vont créer 300?000 emplois d'ici à 2020, l'économie "?productive?" va fournir les équipements de domotique, robotique, tous les outils de l'âge... Aux États-Unis, la Silver économie, c'est 15?% de croissance par an. À nous de saisir cette opportunité?! Nous avons des leaders comme Essilor, Legrand ou Schneider et des start-up inventives partout sur le territoire.
La silver économie touchera-t-elle les structures d'hébergement ?
Oui bien sûr. Hébergement et services à la personne sont liés. Sachez que le président du groupe de maisons de retraite Colisée Patrimoine (Ndlr : Patrick Téchiney - Ehpad Les Jardins de Cybèle), a accompagné François Hollande en Chine. Les Chinois lui ont demandé de leur faire des propositions. La Chine se considère en retard face au vieillissement de sa population, elle veut s'équiper, rattraper son retard et la France est d'ores et déjà présente pour l'y aider.
Les groupes de travail vous ont remis leurs rapports et propositions. Quelle va être la prochaine étape ?
Un comité de filière Silver économie va être mis en place, et les professionnels vont désigner leurs représentants pour définir une stratégie, et voir comment nouer des partenariats. Certains territoires ont déjà une bonne dynamique, comme par exemple à Ivry-sur-Seine. Il faudra trouver les fonds pour le développement des start-up. Arnaud Montebourg, qui est vraiment partenaire de notre ministère, a déjà évoqué l'idée d'un fonds d'amorçage. Par ailleurs, le comité devra réfléchir aux circuits de distribution des produits. Aujourd'hui, c'est l'un des freins identifiés au développement de la filière. Pharmacie, grande distribution?? Il s'agit aussi de travailler sur la notoriété des produits et services, aujourd'hui globalement inconnus. Je compte beaucoup sur l'arrivée des baby-boomers dans le champ de l'âge. Ils ont une maîtrise des outils informatiques et internet, et des exigences nouvelles quant à leur confort de vie. Ils seront prescripteurs pour eux-mêmes et leurs proches, et prendront garde, j'en suis sûre, à bien anticiper leur propre vieillissement, par exemple en aménageant leur maison à temps. Il y a 18 millions de " baby-boomers " en France, c'est considérable !
L'APA (Aide personnalisée d'autonomie) ne suffit pas. Beaucoup de produits et services existent mais comment les financer ?
Le projet de loi Autonomie devrait ouvrir l'APA vers les aides techniques, qui sont des facteurs de prévention très importants. Toutefois les gens doivent investir par eux-mêmes. On ne demande pas d'aide au Conseil général quand on veut acheter un ordinateur... Les baby-boomers pourront se prendre en charge. Et ceux qui ne pourront pas auront accès à des aides.
Difficile de parler des personnes âgées en perte d'autonomie sans parler de leurs aidants. Comment aider les aidants ?
Je ne suis pas favorable à un statut de l'aidant mais à une reconnaissance et à l'élaboration d'un droit. Pourquoi ne pas créer une carte d'aidant?? Cette carte serait un facilitateur par exemple pour se garer au plus près de la personne aidée. Nous réfléchissons à la possibilité de garantir à l'aidant ses points de retraite s'il est obligé de s'arrêter de travailler quelque temps, ou de travailler à temps partiel. Et bien sûr, elle permettrait, en cas d'accident de l'aidant, de savoir qui est la personne aidée. Je souhaite aussi favoriser le maintien de la vie professionnelle. Il faut un droit à l'aménagement du temps de travail et au répit, François Hollande s'y est engagé. Enfin aider les aidants, c'est améliorer les aides à la personne aidée, donc revoir les plans d'aide, et fournir des structures de répit.