Auteur du Plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024, Myriam El Khomri est une femme d'engagement concernée par l'avenir de ces milliers d'hommes et de femmes, personnes vieillissantes, et professionnels à leur service. Pour Géroscopie, elle dresse un panorama des enjeux de cette réflexion. Interview.
« Il faut réhumaniser les services et redonner de la fierté d'exercer aux intervenants à domicile comme en EHPAD »
Comment avez-vous abordé cette mission ?
Dans un esprit de responsabilité, d'empathie et avec la plus grande bienveillance. Nous avons travaillé sans distinguer les secteurs d'intervention, privé, public ou associatif. Car partout, ce sont les personnes âgées qui sont accueillies et les mêmes professionnels qui y exercent leur métier. Notre seul regret est d'avoir manqué de temps, notamment pour décliner des propositions de mises en oeuvre de nos actions mais aussi de travailler d'autres thématiques comme la mixité de ces métiers, les services mandataires, les particuliers employeurs. On aurait rêvé par exemple d'éditer un guide des bonnes pratiques.
Quels étaient les points de litige au sein de l'équipe ?
Ce qui est surprenant, c'est qu'il y avait beaucoup d'évidences justement. Nous avons très vite compris que la situation était complexe et notre problème était de savoir par quoi commencer, pour réparer. Pour tous, le constat était édifiant. Nous étions d'accord sur les axes à déployer, mais nous avons fait face à des organisations qui sont aujourd'hui dans de telles difficultés qu'elles ne savent plus comment agir. Elles sont aux prises avec beaucoup de fatalisme. Et c'est sur ce point que nous avons mobilisé le plus de ressources et de détermination. Les fédérations ont un rôle à jouer en se rapprochant les unes des autres, en mutualisant leurs conventions collectives, afin de réduire l'émiettement actuel. La formation et la baisse de la sinistralité sont de très beaux intérêts à agir en commun.
On note de grandes disparités dans les conventions collectives. Comment harmoniser les conditions de travail et favoriser la mobilité professionnelle ?
Sur les conventions collectives, nous avons choisi d'établir un socle pour créer des passerelles entre elles. Mais le préalable est de retravailler les certifications et de les faire converger vers des blocs de compétences qui permettront de passer plus facilement du domicile aux EHPAD. Ces blocs de compétences devraient ainsi favoriser le passage des AS en 2e année d'école d'infirmière. Cette modularité va améliorer la formation. C'est d'ailleurs un écho pertinent à la loi de 2018 sur la formation professionnelle. De nombreux dispositifs existent aujourd'hui mais ils ne sont pas mobilisés. Citons par exemple les fonds de l'apprentissage. Il y a très peu d'apprentis, environ 600, alors que bon nombre d'acteurs sont prêts à s'engager plus largement.
Quels sont les dispositifs mobilisables dès maintenant ?
Nous pouvons aller chercher des fonds dans la VAE. Ce n'est pas très onéreux. Il y a aussi des choses plus modernes comme la VAE hybride, qui permettent d'obtenir le diplôme plus facilement. Tout cela est mobilisable. Nous voulons surtout faire en sorte que ce qui existe dans d'autres secteurs puisse être mis à disposition du médico-social, un peu à l'étroit dans ses archétypes, ses concours et ses quotas. En libérant ces dispositifs, nous pourrons former davantage de soignants.
Il y a aussi beaucoup de fonds sur les Préparations opérationnelles à l'Emploi (POEC) avec Pôle Emploi. Les dispositifs sont là, mais sans articulations entre eux. Certains ne sont même pas connus des acteurs censés les déployer. Les conseillers Pôle emploi par exemple ne connaissent pas les métiers. Il faut donc les former dès maintenant.
Comment vous positionnez-vous par rapport à l'Europe ?
Nous avons examiné les plans de prévention des risques professionnels mis en place dans les autres pays, avec la branche AT-MP. Les difficultés sont les mêmes partout. En Allemagne, par exemple, ils ont opté pour un recrutement massif, la formation, la baisse de la sinistralité. Ils font déjà beaucoup d'apprentissage et ont multiplié les accords avec d'autres pays pour mobiliser des salariés. Ils ont à peu près 700 000 départs en retraite chaque année et 400 000 entrées sur le marché du travail. En France, nous enregistrons 800 000 entrées sur le marché du travail et 700 000 départs en retraite. En parallèle nous avons deux enjeux en terme d'attractivité. Au Luxembourg par exemple, le salaire minimal est de 2 100 euros pour un aide soignant. Il n'y a pas de solutions miracles pour résister. Il faut travailler la question de la tarification et proposer des aides au logement pour rester attractifs.
Comment fédérer les expérimentations terrain ?
Notre proposition est de soutenir et évaluer. L'idéal est d'examiner le modèle économique, la qualité de vie au travail et la qualité de service. Avec ces indicateurs, il nous faut analyser l'impact sur la branche AT-MP, et mener des enquêtes de satisfaction auprès du public. La CNSA pourrait porter des évaluations et des mesures d'impact. Notre intuition est que c'est le modèle d'avenir. Ces mesures apportent beaucoup. Il faut les évaluer puis les essaimer, mais aussi faire évoluer l'approche managériale et organisationnelle des dirigeants.
Comment préserver l'éthique dans la prise en soin ?
Ce plan, on l'a aussi mené pour des exigences éthiques car derrière l'éthique, il y a la qualité de service aux bénéficiaires et le droit du salarié d'être en bonne santé. C'est l'impératif que nous avons conjugué tout au long de cette mission. On ne peut pas accompagner les vulnérabilités, et créer de la nouvelle vulnérabilité dans la société. Il faut sortir des référentiels de temps contraint. Annualiser l'APA par exemple, développer des équipes de proximité, former tous les intervenants en gérontologie, cela participe pour nous de la qualité de service et de l'éthique. Il nous faut prendre soin de ceux qui prennent soin.
Et maintenant qu'allez-vous faire ?
Je vais reprendre mon poste. Et confier la suite à l'équipe qui s'est mobilisée à mes côtés depuis plusieurs mois. Mais c'était une cause et un combat justes et nobles. On s'est senti redevables de tout ce qui nous a été confié. On a senti le désespoir et le vrai besoin de considération et de reconnaissance des professionnels. Et il y a encore beaucoup de choses à faire. Maintenant il faut continuer.