Alors que l'épidémie de coronavirus bouscule l'actualité de jour en jour, Marc Bourquin a accepté de faire un point de la situation et un essai d'anticipation... Interview.
« Il faut un plan d'urgence avant l'été qui permette aux Ehpad de passer le cap »
Quelle est la situation dans les Ehpad ?
Comme à l'hôpital, les professionnels font face à une situation extrêmement difficile avec beaucoup de courage et de détermination et il faut d'abord saluer leur engagement qui sauve de nombreuses vies.
Au moment où je vous parle (20 avril, ndlr) le nombre de cas suspectés ou confirmés en Ehpad frôle les 64 000 depuis le 1er mars et le nombre de décès dépasse les 7 700. Près de 10% des résidents touchés et plus de 1% décédés. Et le bilan va malheureusement s'alourdir car l'épidémie n'est pas encore totalement maîtrisée dans tous les Ehpad. Le combat continue. Pour demain, la FHF met également en garde contre les vagues de décès qui pourraient être liées au syndrome d'abandon et de tristesse et aux décompensations induites par les difficultés de suivi des pathologies chroniques. Le confinement dans les chambres était indispensable, c'est indéniable. La FHF a plaidé pour un confinement intelligent ou plutôt un déconfinement intelligent, sur mesure, sous conditions du respect des mesures barrière, des précautions sanitaires par les professionnels et les familles. Le Premier ministre et le ministre de la santé nous ont entendus et je m'en réjouis. Les personnes âgées doivent renouer le contact avec leurs proches. Et il faudra progressivement permettre aux bénévoles et aux animateurs de revenir. Mais sachons-le, le retour à la normale ne se fera pas avant plusieurs mois.
Il faut souligner que la crise démontre à quel point il est urgent de renforcer les moyens et de concevoir un plan grand âge ambitieux. Elle montre aussi l'importance de la coopération et l'appui très précieux que peut apporter la filière gériatrique hospitalière.
Que sera l'après-crise sur le plan sanitaire ?
Nous appelons très concrètement à une consultation médicale longue de fin de crise, à domicile aussi d'ailleurs. Le médecin ferait le point aussi bien sur le suivi somatique que sur les mesures personnalisées à mettre en place afin de compenser l'effet de l'isolement. Après ce que nous sommes en train de vivre - et je parle là à titre personnel, sans engager la FHF -, je ne comprendrais pas qu'on ne rende pas immédiatement obligatoire la vaccination contre la grippe des résidents d'Ehpad (ils sont déjà vaccinés à 90%), et surtout des personnels - elle tue chaque année des milliers de personnes âgées et on en parle très peu. Dans le cas des grippes saisonnières, ce devrait être le cas pour toutes les personnes en contact avec des personnes fragiles. Il serait paradoxal qu'après une crise sanitaire de cette ampleur on n'en tire pas toutes les leçons pour mieux protéger les aînés.
Les épidémiologistes viennent de nous rappeler que la grippe « de Hongkong » avait fait plus de 30 000 victimes au tournant de l'hiver 1969-1970, âgées en majorité, mais pas uniquement, sans que d'ailleurs personne ne s'en émeuve alors.
Et quand le vaccin contre le Covid-19 sera trouvé, il faudra imposer la vaccination.
L'épidémie ne risque-t-elle pas de rouvrir le chantier de la future loi Grand âge ?
On sait que le projet de loi a été repoussé parce que les arbitrages financiers ont progressivement revu les ambitions à la baisse. Mais la demande sociale de la population pour cette loi croît et va continuer de croître. Quand l'exécutif dit et répète que les soignants et les personnels de la santé et du médico-social sont des piliers de la société, les actes et les efforts doivent suivre. Il faut avancer sans atermoiements, transformer cet allant sociétal en décision politique. Nommer un ou une secrétaire d'État aux personnes âgées serait un pas important.
Le président de la FHF a alerté Olivier Véran sur la situation financière préoccupante des Ehpad. Qu'en est-il ?
Les Ehpad sont entièrement mobilisés dans la lutte contre l'épidémie, ils y consacrent toutes leurs forces et, en plus, ils devraient faire face à des difficultés financières ! Le président Frédéric Valletoux a alerté le ministre de la Santé. Suspension des admissions, augmentation des décès, heures supplémentaires, recrutements additionnels et, pour le public, primes grand âge et d'attractivité territoriale sans encore de dotation... les recettes sont en chute libre et les dépenses en forte augmentation. Qu'on ne vienne pas nous dire que ce n'est pas le moment de parler d'argent. Les ressources des Ehpad vont être fortement impactées tout au long des prochains mois, leur retour à une pleine capacité ne devrait pas intervenir avant l'automne, dans la meilleure des hypothèses ! Dans le public, l'impact de l'épidémie est estimé à au moins 130 millions d'euros de baisses de recettes définitives et à 150 millions de dépenses supplémentaires pour les 350 000 places d'Ehpad et USLD. Et il ne s'agit là que d'une première estimation.
Il faut un plan d'urgence avant l'été qui permette aux Ehpad de passer le cap !
L'instruction attendue en application de l'Ordonnance du 25 mars ne devrait-elle pas résoudre un certain nombre de difficultés ?
Nous attendons toujours la circulaire qui doit se traduire pour nous en espèces sonnantes et trébuchantes. Je note que pour le champ sanitaire, les choses sont allées beaucoup plus vite ! Mais ces textes visent uniquement à garantir globalement les recettes des ESMS financées par l'assurance maladie, ils ne règlent aucunement la question des financements alloués par les conseils départementaux. Ces derniers doivent être invités à maintenir le paiement de l'allocation personnalisés d'autonomie et de l'aide sociale, mais l'État ne peut leur demander plus ! Je pense par exemple à la prime Covid-19. La solution n'est pas de renvoyer les Ehpad à des discussions avec les conseils départementaux comme l'a fait le gouvernement le 15 avril ! Déjà certains envisagent d'augmenter le tarif hébergement... Dans le contexte où l'on est, cela n'a pas de sens. La Meuse et les Vosges, qui figurent parmi les plus frappés, sont aussi des départements pauvres. Il faut des règles claires qui garantissent une égalité sur tout le territoire. C'est une question de principe.
Vous demandez le relais de l'État ?
Oui, de l'assurance-maladie en l'occurrence. Lors de son allocution télévisée du 12 mars, Emmanuel Macron a insisté, le Gouvernement mobiliserait tous les moyens financiers « quoi qu'il en coûte ». Il est essentiel que les crédits d'assurance maladie compensent intégralement le manque à gagner des Ehpad, sinon ils subiront une double peine. Et puis, à la sortie de la crise, la bonne méthode ne sera-t-elle pas de créer une caisse nationale chargée d'amortir la dette du Covid-19 et non de la laisser sur le dos des établissements qui ont lutté contre ?
Propos recueillis par Catherine Maisonneuve