Le Collectif de lutte contre la dénutrition a organisé la première Semaine nationale de la dénutrition du 12 au 19 novembre 2020 afin de sensibiliser les Français à une maladie qui touche 2 millions de citoyens, dont un résident sur trois en Ehpad. Retour sur cette mobilisation avec le Pr Agathe Raynaud-Simon, cheffe du service de gériatrie de l'hôpital Bichat (Paris), présidente de la Fédération française de nutrition et trésorière du collectif.
« Il n'y a aucune raison de prescrire des régimes en Ehpad »
Quel est le bilan de la première Semaine de la dénutrition ?
Il est très positif avec plus de 3 000 actions répertoriées dans notre pays auxquelles se sont associés plus de 350 partenaires. Les Ehpad, notamment ceux qui participent au projet Maison gourmande et responsable ou aux initiatives de Silver Fourchette, ont été très impliqués. Malgré les contraintes sanitaires, des actions de formation du personnel ou encore de sensibilisation des familles ont été menées un peu partout en France.
Quelle est la réalité de la dénutrition en Ehpad ?
Nous estimons qu'un résident sur trois est dénutri. Il s'agit d'une population très à risque du fait de l'âge, de la dépendance ou encore de la prévalence des maladies chroniques. D'où l'importance de développer des actions de dépistage et de prise en soins. Nous recommandons par exemple que des soignants puissent être disponibles au moment du repas pour aider les personnes dépendantes à s'alimenter ou encore que les cuisiniers reçoivent une formation spécifique afin de proposer des plats suffisamment riches en énergie et protéines, avec des textures adaptées, dont des aliments qui puissent être mangés avec les mains.
Vous évoquez un dépistage. La simple observation du comportement ne suffit-elle pas à alerter sur la dénutrition d'un résident ?
Il est impératif de dépister les pertes de poids avant qu'elles ne se voient à l'oeil nu. Les clés de ce dépistage sont la pesée régulière - au moins une fois par mois - et l'adoption de mesures adaptatives en cas de perte de poids. Il est par ailleurs essentiel de maintenir une activité physique adaptée quotidienne.
Au-delà de la formation et de la disponibilité des personnels, quels autres conseils pourriez-vous donner aux directeurs d'établissement ?
Je constate que les Ehpad sont de plus en plus nombreux à s'engager dans des processus de réduction du gaspillage alimentaire. La démarche est louable à la condition de veiller à ne pas diminuer les apports en protéines et en énergie. Ensuite, il faut penser au rythme des repas et des collations. Il ne faut pas laisser des personnes âgées à jeun pendant plus de 12 heures afin de ne pas les obliger à puiser dans leurs muscles les acides aminés nécessaires au maintien de leur glycémie. Donc si le dîner ne peut pas être programmé au-delà de 18 ou 19 heures, je conseille de distribuer des collations avant le coucher, pendant la nuit ou tôt le matin. La formation des cuisiniers doit comprendre la qualité gustative, nutritionnelle mais aussi la présentation : la diversité des couleurs et des aliments dans l'assiette stimule l'appétit. La notion de plaisir est fondamentale. Enfin, les résidents doivent aussi pouvoir manger des matières grasses, du sucré et du salé. Il n'y a aucune raison de prescrire des régimes en Ehpad.
La Covid-19 a-t-elle des répercussions sur la dénutrition ?
La maladie elle-même entraîne fréquemment une perte de poids, qui peut être importante (troubles respiratoires, anorexie, perte du goût, fatigue...). On ne sait pas encore dans quelle mesure les personnes âgées en Ehpad vont être capables de récupérer le poids et les muscles perdus à cette occasion, mais il est indispensable de leur proposer une alimentation riche pendant la phase de convalescence, avec de l'activité physique en fonction de leurs capacités. Par ailleurs, le confinement représente une situation à risque de dénutrition, en raison de la diminution des contacts humains et de l'anxiété. Les Ehpad ont fait au mieux pour préserver la santé et le bien-être de leurs résidents, mais il faut rester très vigilants pour identifier les pertes d'appétit et de poids.