Tout juste nommé ministre, l'ancien directeur général de la Croix-Rouge française, Jean-Christophe Combe a accepté de répondre (par écrit[1]) aux questions de Géroscopie. De quoi entrevoir ce que sera son ministère.
« Il nous faut dépasser le débat de forme [sur la loi Grand âge] pour se concentrer sur le fond »
Un vrai ministère de l'Autonomie, c'est enfin un espoir de reconnaissance pour le secteur. Quelle est votre feuille de route ?
Sur l'autonomie, nous devons changer de paradigme. Les enjeux de vieillissement démographique sont pour moi un chantier prioritaire. C'est effectivement un sujet à part entière de mes attributions mais il se pense en cohérence avec les autres axes que sont la solidarité et le handicap. Nous avons besoin d'une vraie transversalité sur les politiques sociales et les questions d'autonomie doivent irriguer les autres ministères : santé, logement, travail, etc. La feuille de route de mon ministère fixera un objectif précis : permettre à notre pays de faire face au défi du vieillissement en accompagnant de manière égale la perte d'autonomie sur l'ensemble du territoire, et surtout en agissant sur la prévention de la perte d'autonomie.
La grande majorité des personnes âgées disent aujourd'hui vouloir vieillir chez elles et j'entends leur en donner les moyens. Nous devons poursuivre le virage domiciliaire engagé au cours du précédent quinquennat pour permettre un meilleur accompagnement à domicile, par des services d'aide et de soins mieux articulés et mieux financés. Les personnes ayant besoin d'un accompagnement renforcé doivent pouvoir bénéficier du soutien d'Ehpad, ouverts sur l'extérieur et véritables lieux de vie, pour cultiver le lien social et l'intergénérationnel.
D'autres solutions sont également à encourager, pour développer des alternatives entre le tout domicile et le tout établissement et proposer un panel de solutions d'habitats intermédiaires, qui d'ailleurs existent déjà : résidences autonomie, résidences services, accueil familial, habitat partagé. Nous devons les renforcer, imaginer et soutenir des projets à l'initiative d'acteurs dans les territoires.
Vous connaissez les attentes fortes du secteur. Allez-vous porter la loi Grand âge tant attendue ? Dans quel calendrier ?
Il nous faut aujourd'hui réfléchir au moyen le plus rapide et concret de mise en oeuvre de notre feuille de route sur l'autonomie. Avec la création de la 5e branche de la Sécurité sociale, de nombreuses mesures peuvent être mises en place à court terme, et ce en les inscrivant dans la loi de financement de la Sécurité sociale, pour changer concrètement la vie de nos concitoyens. Je n'ai pas de position dogmatique sur la question de la loi Grand âge mais je crois qu'il nous faut aujourd'hui dépasser ce débat de forme pour se concentrer sur le débat de fond : comment avancer de façon efficace et surtout comment intégrer les acteurs dans ce chantier ?
Vous avez évoqué dans votre discours de passation de pouvoir une société du lien, du social, du soin, vouloir écouter et dialoguer avec les usagers. Pourtant les discriminations notamment liées à l'âge n'ont jamais été aussi fortes (cf. rapport de la Défenseure des droits). Comment changer de paradigme ?
C'est un défi qui nous implique toutes et tous, en tant que société. Changer le regard sur la vieillesse et agir contre l'âgisme est un enjeu. C'est pourquoi nous devons poursuivre le mouvement de transformation des Ehpad, en permettant davantage d'ouverture sur l'extérieur, en créant du lien avec les associations de quartier, les services civiques voire les structures pédagogiques dans le milieu scolaire. Ce mouvement d'ouverture se traduira aussi dans la rénovation des conseils de la vie sociale, qui vont être élargis dans leur composition comme dans leurs prérogatives, pour que les personnes concernées et leurs familles soient encore davantage associées aux décisions qui les concernent. Je souhaite également lutter contre l'isolement des personnes âgées. Le Président de la République a annoncé pendant la campagne la mise en place de deux heures de convivialité pour les personnes aidées à domicile. C'est un engagement fort. Aujourd'hui, les interventions des aides à domicile sont souvent chronométrées, au détriment du lien social avec les personnes âgées. Je souhaite redonner du sens à ces métiers.
J'aimerais enfin avoir un mot pour les proches aidants. Nous devons renforcer les mesures prises en leur faveur, pour aller vers la reconnaissance d'un vrai statut qui protège celles et ceux qui accompagnent et protègent un proche en situation de vulnérabilité. En plus de la simplification du congé et de l'allocation journalière qui vient d'être adoptée, nous devons améliorer les solutions de répit et concrétiser la prise en compte des deux semaines de congés.
Vous avez développé à la Croix-Rouge les expérimentations d'Ehpad hors les murs, Ehpad@dom. A-t-on les moyens de les généraliser sur tout le territoire ?
Les dispositifs renforcés d'accompagnement à domicile (Drad) ont été généralisés par la loi de financement de la Sécurité sociale 2022, dans le cadre des centres de ressources territoriaux pour personnes âgées au titre du volet 2 sur l'accompagnement renforcé à domicile. 50 centres de ressources territoriaux ont été programmés pour 2022, avec le lancement d'appels à candidatures en région.
Comment valoriser et redonner de l'attractivité aux métiers, à domicile comme en établissement ?
Je souhaite tout d'abord profiter de l'occasion qui m'est donnée pour remercier et assurer de mon soutien toutes les personnes travaillant dans le secteur du grand âge et de la perte d'autonomie. Je sais parfois leur désarroi et leur inquiétude face à un contexte difficile et à l'ensemble des préjugés injustement véhiculés sur le secteur. Je sais aussi l'effort incroyable et la mobilisation qui a été la leur lors des dernières vagues de chaleur. Dans ces métiers de l'humain, la vocation est une évidence. C'est le sentiment partagé par les personnels que j'ai pu rencontrer en Ehpad comme à domicile lors de mes déplacements.
Le plan d'attractivité initié en 2019 est en cours de déploiement. Une partie a déjà abouti notamment grâce à l'évolution de l'offre de formation, la revalorisation dans le cadre du Ségur de la santé et l'amélioration des conditions de travail. Nous avons également lancé une grande campagne de communication sur le recrutement et permis le déploiement de dispositifs expérimentaux de reconversion et de découverte des métiers du grand âge à l'échelle de 20 départements. Nous devons aller plus loin, en engageant des actions d'envergure sur le secteur du domicile pour faciliter l'indemnisation et l'organisation du travail, mais aussi en permettant à davantage de personnes de s'inscrire dans ces carrières par les modes d'accès les plus divers : alternance, service civique, formation courte et période de mise en situation professionnelle des demandeurs d'emploi. Je souhaite également engager l'ensemble des acteurs du secteur et les collectivités dans cette réflexion.