Ébranlé par la crise, le secteur privé commercial mène une réflexion de fond pour repenser ses missions et favoriser la transparence. Le Synerpa a lors de son congrès invité ses adhérents à?s'engager dans une démarche d'entreprise à mission. Le point avec Florence Arnaiz-Maumé.
« Il s'agit de donner à l'entreprise commerciale son caractère citoyen, remettre en avant les objets sociétaux et sociaux »
Le scandale Orpea a bouleversé les Français. Comment regagner leur confiance ?
Les Français, comme les professionnels de notre secteur, ont été très choqués par les révélations publiées dans le livre de Victor Castanet[1]. C'est une vraie crise de confiance que nous traversons. Pour retisser du lien avec les personnes accompagnées et leur famille, nous devons être transparents, ouvrir les établissements et montrer comment la vie s'y organise. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé l'opération « Maisons ouvertes », les 20 et 21 mai derniers. 450 Ehpad parmi nos adhérents ont accepté d'ouvrir leurs portes, donner à voir leur fonctionnement au quotidien, y compris dans des espaces souvent moins connus comme la lingerie ou la cuisine. Les équipes se sont rendues disponibles pour répondre aux questions des visiteurs et ont organisé des visites guidées. Nous envisageons de renouveler ces échanges et d'organiser des portes ouvertes au moins deux fois par an. Rendez-vous est donc déjà pris pour octobre prochain.
Et du côté des professionnels ?
Cette nouvelle crise a ébranlé le secteur privé mais pas seulement. L'ensemble du système est touché. Perte de confiance, conflit de valeurs, Ehpad bashing, le Synerpa en a largement pris la mesure. C'est ainsi que nous avons entamé une réflexion de fond autour de l'éthique et de la transparence, qui se traduit déjà en actes. Première action : une modification des statuts de notre syndicat, pour intégrer notre raison d'être, la mission d'intérêt général que l'État nous a confiée, et ce dans tous nos champs d'activité. C'est la troisième fois que nous modifions les statuts du Synerpa depuis sa création en 2001, c'est dire si le sujet est important[2].
Pour aller plus loin, le Synerpa a décidé de se doter d'un comité d'éthique dont l'une des missions est d'élaborer une charte signée par tous les adhérents. Une assemblée générale extraordinaire devrait se tenir avant l'été pour entériner les nouveaux statuts et la création tant de ce comité que de cette charte, disponible dès l'automne, en même temps que le lancement d'une nouvelle campagne de communication grand public sur nos offres de service.
Qu'attendez-vous de cette charte d'engagement ?
Qu'elle devienne l'étendard des adhérents du Synerpa. Notre ambition est de créer un cercle vertueux invitant les acteurs qui le souhaitent à s'engager dans une dynamique d'entreprise à mission, à l'image de la démarche engagée dès mars 2021 par le groupe Colisée, ou de labellisation comme le groupe Domidep. Le Synerpa a largement communiqué sur le sujet, lors de son récent congrès qui s'est tenu à Cannes les 2 et 3 juin, mais aussi par la publication d'un guide dédié à l'entreprise à mission et le prochain déploiement de formations et webinaires. Il s'agit de donner à l'entreprise commerciale son caractère citoyen, remettre en avant les objets sociétaux et sociaux et viser l'obtention de la certification par les labels B Corp et Lucie. Ces deux labels évaluent l'impact social, environnemental et sociétal des entreprises. C'est aujourd'hui un enjeu majeur. Nous sommes bien conscients que nous avons pris du retard sur ce sujet de l'entreprise à mission, sûrement parce que nous avons privilégié d'autres thèmes ces dernières années et que nous considérions ces préoccupations comme relevant de l'entreprise elle-même. Ce n'est aujourd'hui plus le cas. Nous sommes dans un mouvement avec des groupes précurseurs et d'autres qui démarrent. Mais nous allons rattraper le retard, mandat nous en a été donné.
Que pensez-vous de la vague de décrets publiés au mois de mai ?
Ils étaient annoncés dès le début du mois de mars, et nous sommes satisfaits de l'entrée en vigueur de ces nombreuses mesures réglementaires.
Le renforcement des contrôles, même s'il occasionne une surcharge de travail, va dans le bon sens, comme la publication par la HAS d'un référentiel d'évaluation externe. Notre secteur vivait dans une incapacité à proposer au grand public une cotation simple pour mesurer la qualité des services proposés par les Ehpad sur l'accompagnement comme sur le soin. Nous attendions un dispositif d'évaluation avec un référentiel unique : c'est enfin fait. Nous regrettons simplement qu'il s'adresse aux 35 000 établissements sociaux et médico-sociaux de France car les Ehpad ont des spécificités propres.
Par ailleurs, le Synerpa se réjouit de la publication du décret qui habilite les organismes extérieurs. C'est un gage d'indépendance et de transparence. Nous ne redoutons pas les évaluations et souhaitons même aller plus loin. Pourquoi ne pas engendrer une cotation simple (A, B, C, D...) après une procédure contradictoire, conditionnée aux résultats de l'évaluation ? Et publier les résultats sur le site de la HAS ou dans l'annuaire de la CNSA...
Et sur la transparence financière ?
Un décret vient imposer au secteur privé les mêmes contraintes que celles des établissements tarifés sur la partie hébergement. Notre secteur devra désormais fournir des documents budgétaires plus complets composés d'indicateurs financiers et de suivi, validés par les commissaires aux comptes. C'est bien sûr un travail important pour les équipes, mais cela va dans le bon sens.
L'enjeu reste aujourd'hui de voir adopter la loi Grand âge car de nombreux sujets sont à approfondir : la réforme de l'aide à domicile, l'Ehpad de demain, le cadre légal des nouveaux habitats inclusifs, ou la restructuration de la filière et la valorisation des métiers, qui reste le sujet de demain.
L'humain va-t-il prendre le dessus dans le management, le rapport au travail ?
Probablement oui. Il faut l'espérer et y travailler collectivement. La question du travail est au coeur de nos réflexions. La rémunération n'est plus la variable majeure de mécontentement, grâce aux avancées du Ségur de la santé. C'est bien la qualité de vie et d'organisation de son propre temps qui devient déterminante. Pourquoi ne pas envisager que les équipes elles-mêmes organisent leurs propres plannings, pour installer une réelle flexibilité ? Pourquoi ne pas inventer une nouvelle forme de contrat de travail permettant une réelle flexibilité organisationnelle pour tous ? Nous pensons que les salariés eux-mêmes le veulent aujourd'hui. Nous n'avons plus d'autres choix que d'inventer de nouveaux dispositifs. Et si le travail libéré est une réponse en terme de qualité de vie, il doit être examiné.