Penser les enjeux éthiques du vieillissement et leur prise en charge pour impulser une démarche commune passe par l'observation des pratiques sur le terrain. Un travail d'anthropologie mené par Delphine Dupré-Lévêque et partagé lors du Congrès de la Fnadepa, le mardi 6 octobre 2020.
Journal d'une anthropologue en Ehpad
La recherche en anthropologie se base sur « l'observation participante ». En Ehpad, c'est un regard « décalé », qui ne s'intéresse qu'à la personne, voire simplement à ce qu'elle souhaite dire d'elle-même.
S'il se passe toujours quelque chose en Ehpad, est-ce à dire que ces mouroirs, tels que trop souvent décrits, seraient finalement des lieux de vie ?
Il court, il court le directeur
La vie du directeur est on ne peut plus trépidante, entre les pannes de voitures des agents, les enfants malades, les suspicions de Covid, les commandes de masques, la panne du lave-vaisselle, la maintenance des extincteurs, la fuite de la douche de Mme Dupont, les angoisses de la fille de..., la formation de..., la facture perdue...
Il court, il court le personnel
Et c'est sans compter celle des professionnels qui courent sans cesse à la recherche d'un dentier, d'une chaussure, de gants, de crèmes, d'un résident, d'un collègue, d'une paire de lunettes, d'une compote, d'un médecin, d'une prise de RDV médical.
Ils marchent, ils déambulent, ils roulent les résidents
Les résidents mènent leur vie au gré de leurs rencontres, de leurs envies qui vont et qui viennent sans que personne n'y prête totalement attention dès lors qu'ils ne sont pas en soins (aide à la toilette, à l'habillage, au repas...). C'est là que je les rencontre, quand ils se promènent librement. Chacun va à son rythme...
Des individualités dans le collectif
7 400 Ehpad, 600 000 résidents, 400 000 personnels, auxquels il faut ajouter les familles, les aidants, les tuteurs, les bénévoles... Ce sont près de 2 millions de personnes qui se croisent tous les jours...
Chaque Ehpad fonctionne comme un village avec ses services de proximité. Un restaurant, un médecin, un kiné, une salle de spectacle, un coiffeur... Il y a ceux qui y travaillent, et ceux qui y habitent.
Qu'est-ce que la crise est venue aggraver, transformer, améliorer ?
Il y a eu des milliers de décès dans les Ehpad, des professionnels angoissés, contaminés dont on parle peu... mais aussi des personnes sauvées, soignées, nourries, réconfortées. Les familles ont montré leur attachement, leur amour pour leurs vieux parents. On a découvert que les familles étaient présentes dans les Ehpad, solidaires des professionnels et souffraient de ne pas être au chevet de leurs parents. Comme si d'un coup, la société avait pris conscience que toutes les personnes âgées en Ehpad n'étaient pas abandonnées, que des familles venaient chaque jour les aider à manger, sortir, marcher, jouer... Mais on a aussi découvert des vieux isolés à domicile, des vieux de 75 ans ou plus, qui n'ont parlé à personne pendant la crise...
Qu'a t-on découvert ?
Des professionnels d'Ehpad surinvestis certes mais surtout d'une réactivité et d'une créativité incroyables. Ainsi, malgré tout, la vie a pu être maintenue, différemment mais maintenue. Des directeurs ont choisi de donner la parole aux résidents, les invitant à se prononcer sur les décisions à prendre. Contre toute attente, les résidents ont voté pour interdire les visites, agissant en citoyens responsables.
Enfin,ce qui s'est amélioré, je pense, c'est l'image des professionnels des Ehpad, et certains reprennent le chemin du soin. C'est ce que je peux lire sur quelques groupes de soignants sur Facebook. Mais il est certain que cela ne va pas suffire. Pour pouvoir accompagner dignement, il faut des milliers de bras, des milliers de gens formés et en cet instant précis, ils ne sont pas là...
Alors que faire ? Attendre la loi ? Baisser les bras ? Promettre des millions ?...
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