Pour de nombreux observateurs, la situation politique et sociale du pays pose la question d'une nouvelle dynamique de décentralisation.
L'acte IV de la décentralisation est-il soluble dans le projet de loi Grand Âge et Autonomie annoncé (et réciproquement) ?
Il existe une forte demande de décisions réfléchies et portées dans la proximité des personnes directement concernées. Il y a aussi une demande de respiration territoriale des politiques publiques, avec une exaspération devant des décisions totalement ficelées à l'intérieur du périphérique parisien. Enfin, l'égalité de traitement des citoyens, des assurés sociaux, ne peut plus se prétendre dans l'uniformité de déploiement des politiques nationales. Parfait sur le papier, cela ne résiste pas à l'épreuve du réel, et du vécu des territoires.
Le rapport remis il y a quelques jours par Dominique Libault sur la perspective d'une loi Grand Age et Autonomie - annoncée par le Gouvernement pour le 4ème trimestre 2019 - ne comporte pas une seule fois le mot « décentralisation ». Cela pourrait faire penser à des « lettres volées », comme dans la fameuse nouvelle d'Edgar Allan Poe 1. D'autant que le secteur social et médico-social est très concerné par la décentralisation : rappelons qu'un rôle de « chef de file » a été reconnu aux Conseils Départementaux par le Législateur dans la Loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, puis a été confirmé par la Loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de notre société au vieillissement. Alors, jamais deux sans trois ?
Si le mot décentralisation est totalement absent du Rapport Libault, le mot « délégation », pour « délégation de compétences », revient à 11 reprises. De quoi s'agit-il ? D'où vient cette idée ?
Cette nouvelle perspective a été ouverte par le rapport porté par Philippe Mouiller et adopté au Sénat le 10 Octobre 2018, intitulé « Repenser le financement du handicap pour accompagner la société inclusive ». A sa suite, le Sénat a adopté au PLFSS 2019 la possibilité de délégations de gestion entre autorités de tarification, Agences Régionales de Santé et Conseils Départementaux pour le secteur du handicap, notamment celui comportant des compétences croisées (CAMSP2, FAM, SAMSAH), avec une double tarification (comme c'est également le cas des maisons de retraite). L'Assemblée Nationale a conservé cette initiative en l'état, consensus politique aussi rare que remarquable entre deux chambres de sensibilités politiques différentes, ce qui en fait aujourd'hui l'article 63 de la LFSS 2019.
Le dispositif, d'une grande souplesse, n'oblige aucun des deux partenaires à déléguer leur compétence hors le contexte préalable d'un accord entre eux sur le périmètre délégué et le sens de la délégation - lequel peut être différent selon les activités et les territoires - les objectifs, les moyens comme les modalités pratiques retenues.
Il devient dès lors possible d'imaginer l'élargissement aux autres domaines de l'action sociale et médico-sociale comportant une dualité d'autorités publiques de référence, et notamment la gérontologie, faculté apportée par l'article 63, de s'accorder (ou non) sur les objectifs et les moyens de leurs politiques publiques concertées.
Cette mise en perspective est d'autant plus stimulante pour les collectivités territoriales qui se mobilisent de plus en plus nettement sur l'accès aux soins de premier recours : subventions à des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), voire création directe de centres de santé, faute de pouvoir trouver des praticiens libéraux pour les réunir dans une MSP ! Or il n'y a pas d'activité sociale et médico-sociale qui puisse tenir sans temps médical.
Bref, les surfaces de sujets avec des implications conjointes d'ARS et de Collectivités Territoriales s'élargissent et la délégation de compétences pourrait permettre des contrats gagnant-gagnant où ARS et Collectivités partageront les rôles de chefs de file.
David Causse
Directeur pédagogique associé du MBA de directeurs de structures de santé et de solidarité de l'Institut Léonard de Vinci (92), et chargé d'enseignements au Conservatoire National des Arts et Métiers.