L'établissement de Bracieux1, dans le Loir & Cher, accueille 80 résidents. Deux animatrices, ou plutôt facilitatrices de lien social, y insufflent une nouvelle dynamique pour une participation effective et citoyenne de tous. Explications.
L'animation, entre prise de risque et sécurité de l'action
« Quand on accueille des résidents dont 70 % souffrent de troubles cognitifs, la question de l'animation est fondamentale », entame Pierre Gouabault, l'énergique directeur de trois établissements, dont celui de Bracieux (41) au doux nom de « La Bonne Eure ». « Nous sommes partis du principe qu'on est citoyen jusqu'au bout de sa vie et qu'on peut avoir des interactions sociales adaptées à ses capacités. La maison de retraite et ses résidents font partie de la cité. Le rôle des animatrices consiste donc à proposer des animations spécifiques aux besoins d'un accompagnement mais aussi à faciliter ces liens avec la cité. Nous réalisons ainsi un travail de fourmi auprès des collectivités locales, des élus, des associations, des écoles comme des écoles de musique... pour aller le plus loin possible dans la co-construction de projets. »
L'EHPAD, une maison de solidarité
La fête de Noël, en préparation actuellement, est une illustration intéressante de la dynamique à l'oeuvre. L'équipe a voulu travailler sur la magie de Noël. C'est ainsi qu'elle a fédéré autour d'elle des associations du territoire (le comité des fêtes, l'association des parents d'élèves, la mairie, l'école de musique communautaire...), chacun venant nourrir le projet de ses savoir-faire. « Il ne s'agit plus d'organiser une fête pour les résidents mais un temps fort pour la vie du village, un temps qui nous rassemble », confirme Pierre Gouabault. « La maison de retraite devient une ressource sur son territoire. »
Créer des temps de convivialité
« Plus on crée de stimuli, plus le stigmate tombe », ajoute le directeur. « C'est le renouvellement de la rencontre qui permet d'apaiser le stigmate. Notre travail est de proposer en permanence une programmation, dans nos murs et à l'extérieur, qui permette de générer du lien. Nous avons fait le choix par exemple que la politique culturelle de l'établissement soit le support du projet d'établissement. » Et de citer Malraux, à l'inauguration de la MJC d'Amiens : « C'est la culture qui nous rassemble et réenchante la question de la citoyenneté et des solidarités. » La Bonne Eure a donc misé sur la culture, accueillant un collectif d'artistes « Nos années sauvages », qui l'a accompagnée dans une démarche de design social, mais elle a aussi fait intervenir un comédien Emmanuel Suarez - Prix Franc eCulture pour ses feuilletons radiophoniques, venu interroger en réunion publique la question du bien-vieillir. Après avoir lu un texte dans lequel il évoque son grand père, il a permis aux participants, résidents, familles, habitants de Bracieux, d'exprimer leurs craintes et leurs espoirs face au vieillissement... La population est aujourd'hui au rendez-vous. Elle connait l'agenda des événements proposés, comme autant de repères implémentés dans le quotidien. « Les habitants, résidents, familles, salariés sont acculturés aux actions « rock & roll » de l'EHPAD. »
Le bénévolat valorisé
La Bonne Eure a également réussi le pari de rendre la démarche de bénévolat gratifiante. C'est ainsi qu'en sollicitant le club de rugby, de foot, de tennis, le comité des fêtes... pour déménager la maison de retraite, pas moins de 300 personnes ont répondu présent. « Participer à une oeuvre positive, de solidarité, mobilise les habitants. On n'est plus dans la perte. La maison de retraite n'est plus le lieu de relégation mais celui du rassemblement. Pour les remercier, nous organisons des temps conviviaux, une grande paella le soir du déménagement. A Noël, on proposera du vin chaud, du jus de pommes chaud, des distributions aux gamins... Cela crée un sentiment d'appartenance très fort pour les résidents. Et surtout cela devient positif d'être à la maison de retraite. Les résidents, comme les aidants familiaux, ressentent qu'on peut être en perte d'autonomie mais pour autant rester aimable et aimé. »
Changer le regard sur le grand âge
Le rôle des animatrices est ici bien différent d'une fonction classique. Elles facilitent la rencontre entre les citoyens du territoire et les résidents. Il s'agit de déplacer le curseur pour que le résident ne soit plus regardé comme une personne en déficit d'autonomie mais bien une ressource de vie sociale. Et pour cela, il faut travailler au long cours. « Nous ne devons pas quémander de l'aide, être dans la consommation de l'autre mais bien dans l'interaction », précise le directeur. « Cela passe par des choses très simples : conventionner nos locaux avec les associations du territoire pour qu'elles y tiennent leurs assemblées générales, prêter la machine à café ou un véhicule de l'EHPAD. Nous avons aussi instauré des temps de régulation avec les associations pour anticiper leurs besoins et montrer l'utilité de l'établissement dans l'échange ». L'enjeu est de créer un réflexe de sollicitation et d'installer le sujet âgé, en perte d'autonomie ou dément, comme un acteur légitime et entier de la vie de la cité.
Former tous les acteurs
Pour favoriser cette intégration, cette maison du bien-vieillir, comme elle s'appelle elle-même, va lancer des actions de formation. Le but : former les voisins aux premiers signes de la démence. L'établissement bénéficie d'une unité Alzheimer sécurisée en portes ouvertes et travaille sur la question de la liberté d'aller et venir. Il semble donc intéressant de sensibiliser le voisinage à la question de la démence et de l'errance. Le territoire devient dès lors une ressource. On ne parle plus seulement d'animation mais bien d'interactions sociales.
Un pari audacieux
Pour atteindre cet objectif, l'établissement ne manque pas d'énergie. Il lui a fallu revoir les fiches de poste et légitimer la présence de deux animatrices en insistant sur la question du sens. Il a aussi utilisé la méthodologie de design social, qui consiste à redonner du pouvoir d'agir aux acteurs (territoires, élus locaux, familles, associations, résidents, syndicats, personnels, ARS, CVS...) avec un projet de fonctionnement co-écrit par tous. « Cela implique enfin de travailler autrement sur l'ingénierie de l'animation, en investissant sur la formation dans le champ de l'économie sociale et solidaire. Cette formation concerne aussi l'équipe soignante qui doit accepter de s'engager pour son propre avenir. Bien sûr les départs en formation génèrent des turbulences mais on sait que c'est provisoire et on l'a décidé ensemble. »