Dans le n° 5-février 2011  -  Philippe Bas  119

" L'avenir ne se résume pas à des guichets monétaires ! "

A l'heure de la réflexion sur le financement de la dépendance, Philippe Bas, ancien ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, et vice-président du conseil général de la Manche chargé des Solidarités, s'exprime. Ses choix ? Système à étages fondé sur la solidarité, solutions personnalisées, consolidation du travail des conseils généraux, TVA sociale,...

L 'organisation actuelle a fondu les secrétariats d'état Personnes Agées, Famille, etc. dans un ministère au champ large " Solidarités et cohésion sociale ". En temps qu'ancien secrétaire d'État aux personnes âgées, que pensez-vous de cette approche ?

Nous avons ici un " ministère de mission ". C'est un ministère fort, porté par l'entente entre Mesdames Roselyne Bachelot et Marie-Anne Montchamp et leur expérience. Il est structuré pour faire des réformes. Je suis favorable au regroupement dans les mêmes mains des outils pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Les deux secteurs se comparent, ils ont des points communs. Quand on sépare les deux mondes, on perd des synergies. J'aurais d'ailleurs préféré que la réforme du financement de la dépendance porte sur les deux champs du grand âge et du handicap. Pour bien faire, il faudrait aller plus loin. Ce ministère devrait disposer de la tutelle sur la partie Action sociale de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV) et de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM). Cela complèterait la tutelle de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie), qui regroupe les fonds médico-sociaux.

Le débat sur la réforme du financement de la dépendance est lancé. Quelle est votre position ?

J'ai pris parti pour un système solidaire. Actuellement, le coût d'un EHPAD est assumé à 55% par les résidents. Or, le coût demandé au résident est souvent supérieur à sa retraite... Notre système repose donc sur l'idée que la famille est responsable avant la société. Notre société est-elle satisfaite de cet état de fait ? Veut-elle maintenir ce système ? En d'autres termes, est-ce une bonne chose qu'on prenne à une personne âgée ses économies, celles de ses enfants, voire qu'on lui confisque son patrimoine ? Je suis très partisan de la création d'une 5e branche de la Protection Sociale. Dans ce débat, chaque mot compte. Le terme de 5è branche se réfère aux fondamentaux de la protection sociale, tels que conçus par ses créateurs. Attention toutefois à ne pas reproduire l'organisation de la sécurité sociale. Aujourd'hui, les départements ont une responsabilité réelle et leur travail a porté ses fruits. En effet, le réseau de proximité est le plus apte à évaluer et mettre en oeuvre des politiques individualisées. Le nouvel horizon des politiques sociales ne peut être que la personnalisation. L'avenir ne se résume pas à des guichets monétaires mais bien à une aide personnalisée.

La solidarité doit-elle être seule porteuse du financement de la dépendance ?

Je pense qu'il faut construire un système à plusieurs étages. Il doit comprendre un niveau Solidarité, une responsabilité personnelle, une assurance qui mutualise. Le recours sur succession ne peut intervenir qu'en tout dernier lieu. L'idée n'est pas de tout prendre en charge. La société doit prendre en charge tout ce qui relève des soins de dépendance et, sauf cas difficiles, elle n'a pas à prendre en charge le gite et le couvert. Ce sont des charges que chacun paierait en restant à domicile. Reste que pour les couples dont un des membres est toujours au domicile quand l'autre est en EHPAD, les frais liés à la maison sont toujours là... Dans le système que je soutiens, les assurances existent même si le socle doit être fondé sur la solidarité. Je ne veux pas de rente légale pour les assureurs. L'Etat devra organiser le rôle, complémentaire, de l'assurance et créer des cahiers des charges, comme il l'a fait dans d'autres domaines. Je m'oppose à l'idée d'obligation d'assurance. Créer une obligation d'assurance, c'est mettre en place un prélèvement qui ne dit pas son nom. Je crois qu'il faut aussi améliorer le système en place. Actuellement, l'assurance ouvre un droit à avoir fiscal. Ce qui revient à dire que les personnes qui ne paient pas d'impôt sur le revenu ne peuvent pas profiter de cet avantage ! Comme souvent ce sont les classes moyennes qui font les frais du système actuel. Les familles les plus défavorisées bénéficient de l'aide sociale, les plus aisées des avoirs fiscaux. Au milieu on trouve des familles qui ne peuvent que vider leurs économies. L'obligation alimentaire crée un risque de tension familiale. Cette obligation est délicate, les personnes âgées ne veulent surtout pas en arriver là. Je rappelle que cette disposition date du Code Napoléon et que la famille n'était alors pas organisée de la même façon à l'époque. Les parents vivaient chez leurs enfants et la charge financière n'était pas du tout la même...

Actuellement, il y a des disparités entre les territoires : mode d'évaluation de la dépendance, éligibilité à la prestation, mise en oeuvre, ... ne faudrait-il pas donner de l'homogénéité ?

Il est très difficile de décentraliser et d'homogénéiser à la fois, toutefois l'APA (Allocation Personnalisée à l'Autonomie) obéit à des règles nationales. Dans un domaine aussi délicat que l'aide aux personnes âgées, la prise en compte du besoin de proximité est fondamentale et les Conseils généraux sont sources d'idées et de solutions.

Les Conseils Généraux ont-ils encore les moyens financiers de leur mission ?

Avant de viser le progrès social, il faut consolider l'existant. La consolidation est le premier enjeu de la réforme de la dépendance. Il faut éviter que la part des financements nationaux ne se réduise. S'il n'y a pas beaucoup d'espoir de transfert supplémentaire aux départements, il faut pointer le fait que c'est un problème national. Les Conseils Généraux et l'État doivent se retrouver pour discuter. Cela suppose une réflexion sur le prélèvement obligatoire, sur le partage de la ressource.

Que proposez-vous ?

Je propose qu'on affecte aux dépenses dynamiques - la dépendance en est une - les recettes les plus dynamiques. Certaines recettes sont dynamiques, par exemple la TVA, impôt sur la consommation. Actuellement, la consommation se maintient et en conséquence la ressource TVA aussi. La réflexion sur une TVA sociale affectée aux dépenses de protection sociale doit donc avancer. A l'instar de Jacques Attali, pensez-vous que la dépendance n'est pas " un enjeu majeur ", qu'il faut compter sur la fraternité et l'empathie ? Notre société est marquée par l'urbanisation, les liens familiaux distendus, la première génération de personnes âgées divorcées,... Ces facteurs encouragent la solidarité mais créent des tensions. La solidarité familiale est une bonne chose pourtant on ne l'a pas choisie pour financer les retraites. Notre société doit inventer de nouvelles formes de solidarité pour suppléer à la seule solidarité familiale. Je le répète, il n'y aura pas de solution " de guichet ".

Le président a dit à la rentrée qu'il voulait une industrie française, qui fournisse des emplois locaux. Le secteur du grand âge crée aussi des emplois locaux...

J'évalue à 40 000 le nombre d'emplois à créer par an dans le secteur. C'est une chance pour notre économie car il s'agit d'emplois de proximité, non délocalisables ! Il faut travailler avec les Régions pour attirer les jeunes vers ces métiers. Le secteur du grand âge est un pourvoyeur d'emplois indispensable, surtout dans le monde rural. Il consolide l'activité de nos territoires.

Avant d'être une question d'argent ou d'emplois, le 5e risque n'est-il pas une question de place des personnes âgées dans la société ?

Oui, c'est certain. Il faut cesser de n'exprimer qu'une image dépréciative de la vieillesse, comme si la dépendance résumait tout. En réalité, l'allongement de la durée de la vie, c'est avant tout l'avènement d'un nouvel âge actif qui apporte beaucoup à la société (deux tiers des bénévoles sont retraités) et aux jeunes générations qui s'installent dans la vie (avec des transferts financiers qui se chiffrent par dizaines de milliards d'euros).

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