Emmanuel Macron souhaite établir en 2019 le 5ème risque, avec le financement associé. Alors que le secteur des EHPAD traverse une crise « systémique », secoué par de multiples tensions sociales, une image toujours dégradée dans le grand public et des perspectives complexes de gestion des ressources humaines, cette annonce présidentielle est l'occasion de réfléchir à l'avenir de l'EHPAD.
L'EHPAD et le 5e risque
Le 5ème risque de la sécurité sociale, celui de la dépendance ou de la perte d'autonomie selon le regard que l'on pose, concerne toutes les étapes de vie de la personne âgée, par conséquent concerne le secteur des EHPAD qui en est un des maillons les plus emblématiques. Un constat d'abord : l'EHPAD est, et sera « l'ultima ratio » de la prise en charge de la dépendance. Cela a des implications lourdes sur l'évolution du secteur et la transformation du travail des professionnels.
Les EHPAD sont confrontés à l'accueil de résidents très âgés, très dépendants et dont la durée de séjour se réduit. Cette tendance s'amplifie sous la pression du vieillissement de la population et d'une offre d'accueil alternative plus séduisante et en plein développement. A l'avenir, et avec une information mieux partagée, les familles et les personnes très âgées sans troubles neurologiques opteront pour des structures autres que les maisons de retraite médicalisées : « familles d'accueil », résidences services ou résidences autonomie. Il existe également un vrai consensus entre la société civile et les pouvoirs publics pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées.
Des conditions de travail dégradées
Pour les professionnels qui travaillent dans les EHPAD, les conditions de travail sont difficiles. Psychologiquement, la confrontation permanente à la mort, à la fragilité de la personne humaine est une charge mentale souvent sous-estimée. Une aide-soignante, une infirmière, un médecin coordonnateur peut revenir de vacances la tête encore pleine d'horizons ensoleillés et se retrouver toutes affaires cessantes à accompagner la fin de vie d'un résident, avec qui des liens profonds ont été tissés, lui tenir la main pendant des heures pour calmer son angoisse et l'accompagner jusqu'à son dernier souffle... Histoire vécue par un professionnel. Histoires assumées depuis des années par une profession.
Il faut donc avoir une certaine profondeur d'effectifs pour gérer les tensions inhérentes à la réalité du quotidien. Or le secteur des EHPAD connaît une crise de recrutement sans précédent qui se traduit par un sous-effectif insupportable. Combien d'établissements n'arrivent plus à envoyer de personnels en formation ? Combien de directeurs s'arrachent les cheveux pour maîtriser le taux d'absentéisme ? Combien n'arrivent plus l'été, à fonctionner normalement du fait des congés ? Combien de salariés assument des tâches toujours plus nombreuses sans être forcément préparés ou formés ? Qui répond, ou pas (!), au téléphone aux familles dans nombre d'établissements où les contrats aidés ont disparu ? A cela, plusieurs raisons : le manque d'attractivité des rémunérations, et des conditions de travail, lié au manque de financement, mais également à la rigidité d'un système qui n'arrive plus à s'adapter à l'évolution des personnes hébergées. La question de l'attractivité des métiers est essentielle. Elle est le challenge de la profession pour les dix ans à venir.
Pour répondre à ces défis, il faut sortir d'une certaine forme de déni et assumer pour la dignité des salariés et des résidents, les réalités énoncées ci-dessus.
Accepter de changer de paradigme
Du point de vue de l'organisation, Il faudra accepter de mutualiser les moyens, donc d'augmenter la taille des établissements. Cela permettrait de mieux maîtriser les coûts, de mutualiser les équipes et donc de résoudre certaines pénuries de personnel, d'offrir des parcours professionnels plus riches, in fine de mieux prendre en charge des résidents très dépendants. Comme évoqué précédemment, la question des conditions de travail est d'ailleurs centrale dans la définition d'un nouveau modèle. Les tensions sont telles aujourd'hui, que le secteur risque de voir disparaître les candidatures ou plus simplement de ne plus pouvoir fidéliser des salariés exténués, écrasés par une charge de travail surhumaine.
Il faudra également assumer la « médicalisation » de fait des EHPAD.
Pour cela, il y a deux objectifs atteindre :
un médecin coordonnateur par établissement, ce qui est le cas pour seulement deux tiers des établissements !
l'augmentation des places d'HAD (Hospitalisation à Domicile) au sein de l'EHPAD pour faciliter la prise en charge des résidents, limiter les ruptures logistiques, désengorger les urgences et apporter de la sérénité aux équipes.
Enfin, pour la dignité des résidents et du personnel, il est urgent d'investir dans les soins palliatifs et dans l'accompagnement de fin de vie. Cette absence de moyens génère un stress fort pour les équipes et encore plus fort pour les personnes âgées. Car même si l'EHPAD est à juste titre un lieu de vie, c'est aussi et au final un lieu de fin de vie. On ne peut pas laisser « mal mourir les âgés » ! La « gestion » de la mort ne doit plus être un tabou comme l'a remarquablement montré l'étude d'avril 2018 de la Fondation Korian pour le bien-vieillir !
Dans le fond, peu importe de savoir quels seront les contours des modalités de financement de la réforme : 5ème risque basé exclusivement sur les cotisations des contribuables, solidarité familiale, assurance privée forcée ou incitative, un mixte des trois sans doute... Les professionnels comme les pouvoirs publics doivent poser une organisation cible pour les trente années à venir en prenant en compte les réalités inscrites dans la démographie et la réalité de ce que vivent les résidents et les professionnels.
Si les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous, ou ne le sont que partiellement, cela poserait un curseur sur l'échelle des moyens, mais cela ne devrait pas changer le diagnostic et la cible du modèle de l'EHPAD vers lequel nous devons aller : un EHPAD plus grand, plus médicalisé, plus à même d'accompagner la fin de vie des résidents, d'ajouter de la « vie au temps » pour ceux qui peuvent en bénéficier, avec une qualité de vie au travail des professionnels placés au coeur de la réflexion.
C'est le défi qui est posé à notre secteur et aux représentants de toutes ses composantes : syndicats professionnels, syndicats de salariés, écoles de formation, magazines professionnels, pouvoirs publics, départements, etc. Il est indispensable de s'y atteler... maintenant !