Emmanuelle Collet est aide-soignante à l'Ehpad du centre hospitalier intercommunal de Wasquehal, centre de gériatrie de la métropole lilloise. Elle a fait partie de l'équipe projet de la mission El Khomri.
« L'épidémie confirme l'urgence d'une réforme »
Comment-avez-vous été amenée à travailler avec Myriam El Khomri ?
Pour mener sa mission sur les métiers du grand âge elle a souhaité intégrer des soignants de terrain. Contacté par le biais d'une connaissance, mon directeur m'a sollicitée ainsi que trois autres collègues. Pour notre expérience. J'ai commencé à travailler à l'hôpital à 20 ans, au bas de l'échelle comme agente des services hospitaliers (ASH) faisant fonction d'aide-soignante (AS). Au bout de six ans, j'ai suivi la formation d'AS et ai obtenu mon diplôme d'Etat en 1997. J'ai été recrutée ici fin 1998. Nous avons été deux à nous engager, un peu à l'aveugle je dois dire. J'ai été mise au courant le 12 juillet, le 15 juillet j'étais à Paris
Cela vous-a-t-il permis de mettre en perspective votre expérience ?
L'équipe-projet a auditionné beaucoup de gens venus de tous horizons. Cela n'a pas forcément été un exercice facile pour moi, mais j'ai pu mesurer à mon humble niveau tous les enjeux de cette réforme. Je l'ai vécu aussi comme une opportunité de défendre mon métier, un beau métier mais très dur - à 47 ans, il est évident que physiquement, je ne tiendrai pas jusqu'à la retraite. En plus, ce métier n'est pas reconnu à sa juste valeur : comment s'étonner que les écoles ne remplissent pas leurs bancs ?
Comment avez-vous traversé l'épidémie ?
Par chance, nous n'avons eu aucun cas de contamination, mais toute l'équipe se sent fatiguée, vidée même. Un Ehpad est un lieu de vie. Or les personnes âgées ont été confinées début mars, avant même l'annonce officielle. Certaines ne se sont plus alimentées, d'autres ont insisté pour regarder les informations, ce qui est particulièrement anxiogène et on a constaté des syndromes de glissement. Au fur et à mesure des semaines, on a senti une chape de tristesse s'abattre, malgré nos efforts pour organiser des visio avec les familles, prendre des photos avec un petit message sur une ardoise. Et les précautions sanitaires et les mesures de désinfection ont alourdi notre charge de travail. Nous déconfinons progressivement, mais nous avons tous l'impression d'un énorme poids sur nos épaules. Je crains beaucoup le contrecoup dans les prochaines semaines.
Qu'attendez-vous aujourd'hui ?
Nous ne demandons pas de médaille, mais un autre regard. L'épidémie confirme l'urgence d'une réforme. Ce métier est difficile physiquement et psychologiquement, même si je n'ai jamais envisagé de travailler autrement qu'auprès de personnes âgées, c'est d'une infinie richesse. Je reçois des jeunes en stage au bout de trois jours elles hallucinent : je commence à 7 h après les transmissions et j'ai douze patients en charge sur une matinée, au plus vite parce qu'à 11h30, il faut les préparer pour les repas. Le manque d'effectifs est patent, avec trop de glissements de tâches ASH/AS et AS/infirmières. Or nous nous occupons d'hommes et de femmes. Mon directeur m'a demandé une simulation avec sept patients au lieu de douze - avec les recrutements qui iraient avec, pour moi ce serait le bonheur !
Et les salaires des métiers du grand âge doivent être revalorisés comme l'a préconisé Myriam El Khomri : au bout de 23 ans je gagne 1850 euros nets avec deux week-ends travaillés par mois, plus 100 euros de prime grand âge depuis mars.
Il faudrait aussi instaurer la gratuité de la formation -le concours a été supprimé c'est heureux- et créer enfin la fonction de coordinatrice. Enfin pourquoi une aide-soignante ne peut-elle être formatrice dans une école d'aides-soignantes, c'est un comble !