Maire d'Alfortville et président de l'Unccas depuis 3 ans, Luc Carvounas revient pour Géroscopie sur l'action sociale de proximité et les problématiques rencontrées par les CCAS. Interview.
« L'État doit être à la manoeuvre pour coordonner, au niveau national, et financer des investissements qui garantissent l'équité entre les territoires »
Vous êtes président de l'Unccas depuis fin 2020. Comment vont les CCAS ?
Les CCAS ont été largement mis à contribution au cours des multiples crises sociales qu'a traversé notre pays depuis deux décennies. Mais la crise de la Covid-19 a marqué un tournant dans l'action sociale de proximité que portent les CCAS, et plus largement les collectivités territoriales. Dans la foulée, la spirale inflationniste et l'augmentation de la précarité ne leur ont pas laissé de répit pour répondre aux problématiques de nos concitoyens. Malgré tout, les élus, les agents que je vois dans nos territoires, dans ce grand tour de France des Solidarités que j'ai entamé au début de mon mandat, montrent une force de réaction, d'imagination, d'innovation au service de leurs concitoyens qui me donne un immense espoir dans l'avenir.
Vous avez affirmé lors du 92e congrès que « les Français ont besoin d'une politique nationale qui les protège ». À défaut les communes et intercommunalités sont-elles en mesure de prendre le relais ?
Je crois profondément en la décentralisation. Et à ce titre, je crois que si on lui en donne véritablement les moyens, le bloc communal peut aller encore plus loin qu'il ne le fait aujourd'hui dans la réponse sociale apportée à nos concitoyens. Une réponse pragmatique, inventive, de proximité, adaptée aux configurations locales. Mais la France n'est pas un pays décentralisé. S'il fallait relancer le chantier institutionnel, pour remettre à plat le « mille-feuille » des compétences et des échelons de décision, la première étape serait de faire davantage confiance aux élus locaux. Ceux-là mêmes qui connaissent le mieux les besoins des habitants de leur territoire pour adapter la réponse sociale en proximité. L'État doit donc être à la manoeuvre pour coordonner, au niveau national, et financer des investissements qui garantissent l'équité entre les territoires. À charge pour le bloc communal, en concertation bien sûr avec d'autres échelons au premier rang desquels les départements par exemple, de mener les politiques de proximité réactives. Ce qui veut dire, dans le champ social, faire de la dentelle.
62 % des Français se disent insatisfaits de l'action sociale (selon une étude que vous avez publiée récemment). Comment inverser la tendance ?
Les moyens doivent être à la hauteur des enjeux. Alors que la précarité augmente, que les CCAS et leurs partenaires associatifs voient, depuis plusieurs années, des publics nouveaux venir à eux, comme les étudiants ou les travailleurs précaires, on ne peut accepter que l'État providence qui a fait la force de notre pays soit dépecé, budget après budget, réforme après réforme. C'est vrai pour les politiques menées au niveau national, mais aussi à notre niveau : les finances des collectivités territoriales sont étouffées de manière ininterrompue depuis le début des années 2010, ce qui impacte leurs marges de manoeuvre. Cela vaut pour les départements comme pour les CCAS/CIAS. Ensuite, il convient de prendre en considération ceux qui sont au front pour faire vivre l'action sociale. Les métiers du care, comme on les appelle aujourd'hui, souffrent d'un manque d'attractivité et de reconnaissance. C'est particulièrement vrai pour le service public. Les personnels des établissements et services pour personnes âgées, pour l'accueil des jeunes enfants, doivent bénéficier de rémunérations, de formation et d'une reconnaissance à la hauteur du service qu'ils rendent à la Nation.
Combien d'Ehpad gèrent les CCAS et connaît-on le nombre d'établissements en cours de cession ? L'Unccas outille-t-elle ses adhérents pour trouver des solutions, notamment pour éviter des fermetures « sèches », comme à Nice par exemple ?
Les CCAS sont gestionnaires de 700 établissements, soit environ 10 % du parc actuel. Quant aux cessions, nous ne disposons pas de données consolidées à l'échelle nationale. L'Unccas est bien entendu aux côtés de ses adhérents et les accompagne dans leurs démarches, leurs difficultés, le décryptage des nouvelles réglementations. Mais il convient de reconnaître que la dynamique nationale encourage les établissements de grande envergure, ce qui rend la gestion des Ehpad par des CCAS aux tailles et moyens modestes de plus en plus difficile. Nous plaidons, et c'est notre rôle, pour un plan d'investissement national qui leur permette de faire face à cette situation, d'imaginer l'Ehpad de demain et ainsi élargir l'offre publique pour faire face aux perspectives démographiques.
Comment un CCAS peut-il se revendiquer service public et vendre son Ehpad à un groupe privé, comme c'est le cas de celui de Bayel (61) à Philogéris, un groupe qui par ailleurs dit être partenaire de l'Unccas ?
L'établissement dont vous parlez fait l'objet d'une délégation de service public, validée par une décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Que cela nous plaise ou non, le service public ne peut seul répondre, dans l'état actuel des choses, à la demande de places en établissements pour personnes âgées. Les affaires récentes ont eu pour conséquence bienvenue de pousser à une plus grande réglementation et de rigueur dans le contrôle des activités des établissements privés, et je salue les premiers pas du législateur, qui s'en est emparé dès la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023. Toutefois, les CCAS et leurs communes sont, dans les limites fixées par la loi, souveraines dans leurs choix de gestion et il ne m'appartient pas de juger les décisions de mes collègues. Dans le cas que vous citez, le recours à une concession d'exploitation était peut-être la moins mauvaise solution pour garder l'établissement ouvert et continuer de répondre aux besoins de la population.
Aujourd'hui s'ouvre un débat sur la rénovation de l'habitat et la recherche de solutions alternatives à l'Ehpad ou au domicile. Comment vous positionnez-vous ?
La rénovation de l'habitat est un sujet majeur pour les CCAS qui doivent, avec des budgets contraints par la conjoncture économique, assumer une lourde charge en la matière. Nous sommes en discussion avec les administrations centrales pour qu'ils puissent être accompagnés au mieux. Une convention entre l'Unccas et la Caisse des dépôts et consignations est également en passe d'être signée. Les solutions alternatives existent dans nos CCAS. Les « villages » et structures d'habitat ou d'activité intergénérationnels, comme il en existe à Plénée-Jugon (22) ou à Lanvaux (56), sont des expériences intéressantes pour prévenir la perte d'autonomie et créer ou recréer ce lien social tant malmené ces dernières années. Les Français se prononcent dans leur majorité, et c'est normal, pour le maintien à domicile face à la perte d'autonomie. Pour être au rendez-vous, il convient de changer de braquet et faire enfin les efforts nécessaires pour répondre à ce souhait.
Vous n'avez pas siégé au CNR. Quelles propositions espérez-vous voir concrétiser dans la PPL Bien-vieillir ?
Nous n'étions certes pas à Marcoussis, malgré ma demande de participer au CNR national. Cela dit, au regard des enjeux, nous avons participé aux travaux du CNR Bien-vieillir, pour lequel nous avons soumis une contribution des CCAS et CIAS. Concernant la PPL, qui, soit dit en passant, est restée bloquée dans la navette parlementaire, nous avons porté des propositions, notamment pour structurer le nouveau service public de l'autonomie, prévenir les publics à risque lors des épisodes de canicule, ou encore proposer que le Parlement vote une loi de programmation pluriannuelle pour préparer la transition démographique et prendre en compte la situation de certains territoires, comme la Guadeloupe et la Martinique, où le vieillissement de la population est déjà très avancé. Mais malgré les avancées permises par l'engagement de certains parlementaires, il ne s'agit pas de la grande loi Grand âge promise par Emmanuel Macron. Je le regrette.
Vous évoquez un G9 des solidarités. De quoi s'agit-il ? Quel impact pour les plus âgés ?
À la suite du discours de clôture du Congrès des maires 2022 par la Première ministre, nous avons été saisis par l'étendue du désintérêt du Gouvernement pour les politiques de solidarités. C'est pourquoi j'ai souhaité tendre la main à nos collègues des autres associations d'élus locaux, pour travailler ensemble sur les défis qui se posent aux collectivités dans ce domaine. Vous connaissez l'adage : seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin. C'est l'objectif de ce projet : jeter des ponts nécessaires pour renforcer nos complémentarités et peser collectivement sur les décisions nationales. J'espère voir ce partenariat se mettre concrètement en place d'ici la fin de l'année. Pour les plus âgés, l'impact espéré est une politique publique à la hauteur des enjeux, qui remette la personne et ses proches au coeur du dispositif d'accompagnement. Ce qui veut dire des personnels qualifiés, en nombre suffisant et justement rémunérés ; des structures adaptées à l'évolution des besoins ou aux changements climatiques par exemple ; des élus soutenus dans leurs démarches de villes inclusives à tous les niveaux : accès aux droits, logement, mobilités, activités créatrices de lien social, emplois de proximité, etc. Au-delà des enjeux démographiques, nous sommes là face à une vraie question de société. Puissions-nous être collectivement à la hauteur.