La relation aux émotions est une question récurrente dans les établissements médico-sociaux. Souvent annihilées ou minimisées, voire classifiées, les émotions peinent à trouver leur juste place dans notre société. Décryptage.
L'exigence émotionnelle chez le personnel soignant d'EHPAD
Si nous montrons des signes de colère, nous sommes colériques, si nous montrons des signes de tristesse, nous sommes dépressifs. Pourtant, les émotions font partie intégrante de notre fonctionnement et de nos relations sociales. Sans émotions, pas d'interactions, pas de bonheur, pas d'apprentissages, pas de compréhensions. Nos échanges deviennent extrêmement standardisés grâce au SBAM très présent dans certains corps de métiers (s'il vous plaît, bonjour, au revoir, merci). Pour autant, les émotions sont toujours présentes, sources de souffrances, d'incompréhensions interpersonnelles et par conséquent de souffrances relationnelles qui deviennent vite conflictuelles.
Les facteurs majeurs de risques relationnels
Le rapport Gollac (2011) propose une synthèse de la littérature scientifique sur les liens entre les contraintes organisationnelles, sociales et environnementales sur la santé. Dans ce rapport sont exposés 6 facteurs majeurs de risques : Insécurité du travail, exigence du travail, conflit de valeurs, relations au travail, autonomie et exigences émotionnelles qui nous intéressent.
Qu'est ce que l'exigence émotionnelle ?
Il s'agit du fait de mobiliser l'intégralité de ses ressources pour maîtriser ses émotions, et ainsi répondre aux exigences métiers et organisationnelles. Cela concerne principalement les métiers en lien avec une clientèle. Cette exigence nécessite une grande mobilisation interne en termes d'énergies physique et psychique et devient par conséquent facteur de risques pour la santé psychique et la qualité de vie au travail, notamment si elle est couplée à d'autres facteurs. Parmi eux, il y a bien évidemment la relation au public, le contact, avec la souffrance, les peurs (de l'accident, de la violence externe) et le fait de devoir cacher ses émotions. S'empêcher ou se priver d'énoncer, verbaliser ce que nous pensons, ressentons, en s'obligeant à afficher des émotions qui ne sont ni présentes ni réelles, va nous affecter considérablement. Le personnel soignant remplit toutes les cases de ce potentiel facteur.
Pourquoi verbaliser le ressenti ?
Ce problème, qui est bien souvent multifactoriel liant les sphères personnelles, culturelles et les injonctions organisationnelles, est néanmoins à travailler, en redonnant la possibilité aux individus de s'exprimer, non pas dans l'expression de l'émotion (les cris, les pleurs...) mais en verbalisant ce qui est sous-jacent. Il permet de réintroduire un schéma de pensée. Les émotions ne durent généralement que quelques secondes mais augmentent si elles ne sont pas reconnues ou sont incomprises. Un individu ne choisit pas de ressentir ce qu'il ressent, l'émotion est la maturation d'un long processus expérientiel. C'est pour cette raison que les 5 émotions de base (colère, tristesse, joie, peur, honte/dégoût) doivent être prises en compte avec un jeu communicationnel simple.
Je ressens... parce que... Le "parce que" exprime ce qui a été touché souvent en termes de valeurs (une valeur est une nominalisation) : justice, respect, sécurité, protection... Il faudra ensuite normaliser le ressenti en fonction de cette valeur, même si autrui est en désaccord, que la valeur est différente ou qu'elle a été interprétée d'une autre manière.
Les émotions ne sont pas des éléments à taire ou cacher. Elles caractérisent l'individu et permettent de créer des liens entre les êtres, de développer la compréhension réciproque par l'empathie.
Gwendoline Didier
Psychologue