Le circuit du médicament suppose une coordination qui est naturellement à la main de l'infirmière coordinatrice, chargée au quotidien, en collaboration avec le médecin-co, de l'organisation du travail dans le respect des procédures. Entretien avec Nathalie Soria, vice-présidente de la Fédération française des infirmières diplômées d'État coordinatrices (Ffidec).
« L'infirmière coordinatrice est un rouage essentiel du circuit du médicament »
Quel est le rôle de l'Idec ?
L'Idec joue un rôle stratégique, en trinôme avec le directeur et le médecin coordonnateur, mais d'un Ehpad à l'autre ses missions sont à géométrie variable car aucun texte réglementaire ne les encadre. La Ffidec milite pour que cette fonction soit légitimée en métier. Elle poursuit une concertation sur un futur décret professionnel qu'elle espère voir aboutir prochainement, avec un référentiel métier mettant en évidence des compétences et un référentiel formation - actuellement aucune formation n'est officiellement reconnue.
En ce qui concerne le circuit du médicament, en revanche, une chose est sûre, et dans tous les Ehpad, l'infirmière coordinatrice est un rouage essentiel. Elle est garante de la continuité et de la réalisation des soins dans le respect des bonnes pratiques et du cadre légal. Et il s'agit d'un domaine exemplaire des besoins de coordination. D'ailleurs, la nouvelle évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux, applicable depuis le 1er janvier 2023, a fait de sa sécurisation l'un des critères dits « impératifs ».
Pouvez-vous détailler ?
Le référentiel national de la Haute Autorité de santé (HAS), sur lequel se fonde la nouvelle évaluation, comprend des critères basés sur deux niveaux d'exigence : 139 critères « standards » qui correspondent aux attendus de l'évaluation et 18 critères dits « impératifs » qui doivent être totalement satisfaits.
Le critère 3.6.2 de ce référentiel, « Les professionnels respectent la sécurisation du circuit du médicament », est un critère impératif. Si l'Ehpad ne coche pas toutes les cases, il doit immédiatement corriger le tir et rendre compte à l'autorité de tarification et de contrôle.
Comment l'évaluation est-elle menée ?
L'entretien avec les professionnels vérifie qu'ils connaissent les règles et les respectent. En ce qui concerne la consultation documentaire, toutes les procédures sont étudiées, à toutes les étapes de la prise en charge. Puis une observation du terrain doit confirmer le respect des règles, par exemple : condition de transport, livraison, conditions de stockage (armoire sécurisée, piluliers, ordonnances, sécurisation des stupéfiants, gestion des stocks, etc.), conditions de distribution, administration, aide à la prise, enregistrements...
En quoi le circuit du médicament est-il exemplaire des besoins de coordination ?
Parce que les quatre étapes clés de ce circuit (prescription, dispensation, préparation des doses à administrer, administration avec suivi thérapeutique) font intervenir différents acteurs qui rendent complexe son organisation : les médecins prescripteurs, les pharmaciens qu'ils soient de pharmacie à usage intérieur ou d'officine, les infirmières (salariées et libérales), les aides-soignantes, les agents de soins. Chacun doit connaître son rôle et celui des autres intervenants, chaque maillon dans la chaîne.
Mais quelle est la réalité sur le terrain ?
Catastrophique. Le turnover des équipes est incessant, il manque des infirmières et des aides-soignantes, des Ehpad sont sans médecin coordonnateur, parfois sans médecin traitant... Et il existe encore des Idec avec temps partiel infirmier. Vous imaginez leurs difficultés de positionnement !
En ce qui concerne la sécurisation du circuit du médicament, il existe plusieurs points de friction. Et ce, dès la prescription, parce que le médecin traitant n'utilise pas le logiciel métier : dans une sorte de consensus soft, on va demander à l'infirmière de la retranscrire, elle, dans le logiciel - c'est juste hors cadre légal. Outre le médecin, seul le pharmacien peut le faire, mais souvent il traîne des pieds. Même chose, quand le résident sort de l'hôpital avec une prescription papier. Le risque d'erreur existe bel et bien. Dire « non » demande une bonne assise managériale de l'Idec, c'est sûr, dans un contexte où de nombreux Ehpad ont localement des difficultés à passer des conventions avec les pharmacies d'officine.
Les Idec sont-elles associées à l'élaboration de ces conventions ?
Dans mon cas à moi, oui, et le médecin-co aussi. C'est important parce que cela conditionne la bonne marche du travail entre l'Ehpad et la pharmacie. Et sa fluidité au quotidien.
Car ensuite, et même si le pharmacien l'a déjà fait, vient le temps du contrôle. À la livraison, d'abord, par une infirmière qui doit être isolée pour garder sa concentration, évidemment sans délégation de tâches parce que l'on risque des désordres importants. L'Idec doit organiser le travail pour permettre à l'infirmière de bénéficier de ce temps, même si ce n'est pas facile, parce que du temps infirmier, il n'y en a pas beaucoup. Cette étape franchie, on passe à la distribution des médicaments aux résidents, en chambre ou en salle à manger. L'infirmière doit vérifier et tracer la prise, avec recontrôle de l'identité de la personne mais, faute d'effectifs, 100 % des Ehpad délèguent cette distribution et l'aide à la prise aux aides-soignantes ou faisant fonction - et seulement ces deux tâches. En aucun cas, ce ne peut être une autre, même aller chercher un Doliprane dans un chariot. L'exemple d'une pratique « risquée » me vient en tête : au lieu de préparer les médicaments un par un, plateau par plateau distribué un par un, dispatcher tous les médicaments sur tous les plateaux avant distribution...
Ne pas transiger est compliqué, je le sais, en cette période de crise RH aiguë, mais il faut être vigilant sur tout ce qui peut être source d'erreur - avec mise en cause de la responsabilité, je le précise. L'organisation du travail, le respect des procédures formalisées avec le médecin-co et la formation sont essentiels.