Pierre Moscovici, premier Président de la Cour des comptes, a présenté lors d'une audition à la Commission des affaires sociales du Sénat le 23 février 2022, les conclusions de l'enquête de la Cour sur la "Médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes".
La Cour des comptes auditionnée par la Commission des affaires sociales
Ce travail demandé à la Cour en janvier 2021 dans le prolongement des travaux de la commission d'enquête sur la crise sanitaire révèle tout d'abord une déconnexion entre les établissements et leur environnement sanitaire. L'enquête dresse un constat sévère, confirmant que l'Ehpad actuel est à bout de souffle alors qu'elle souligne dans le même temps l'ampleur des moyens déployés au cours des 5 dernières années.
Pierre Moscovici après avoir rappelé la publication des récents rapports de la Cour, en novembre 2021 sur la prévention de la perte d'autonomie des personnes âgées et janvier 2022, sur les services de soins à domicile, indique avoir analysé les constats des contrôles de la juridiction financière de 57 Ehpad, publics comme privés, associatifs comme commerciaux, représentants les divers territoires, pour construire synthèse et propositions. « Nous avons également examiné l'action des pouvoirs publics mise en oeuvre » en Allemagne, Belgique, Danemark, Japon... Une approche jugée fructueuse et féconde pour comprendre l'efficacité de la prise en charge des personnes âgées.
Trois éléments sont toutefois à souligner, « c'est le hasard de l'échantillonnage. Il se trouve qu'il n'y avait pas d'établissement orpéa ». Les Ehpad publics ne sont par ailleurs pas mieux gérés. Le facteur déterminant de l'accueil, de la gestion, des soins, est lié à la qualité de l'encadrement qui repose sur le triptyque médecin coordonnateur, infirmier coordinateur, directeur général. Enfin, « nos contrôles se heurtent à une double contrainte. D'une part, la compétence des juridictions financières est limitée, puisqu'en l'état actuel des textes elles ne peuvent pas contrôler la partie hébergement. Et ce d'autant moins que les Ehpad ne sont plus tenus de retracer dans un compte distinct transmis à l'autorité compétente les charges et produits non pris en charge par des financements publics. D'autre part, et c'est une limite (...), nos contrôles ne sont pas inopinés. Ils sont toujours planifiés et annoncés. »
A l'issue de cette enquête, la Cour a dressé un état des lieux de l'organisation et du financement des Ehpad, notamment de la tarification et du régime d'autorisation. Elle a ensuite examiné la qualité de la prise en charge médicale, « singulièrement affectée par le manque persistant de personnels qualifiés et de la dégradation des conditions de travail qui en découlent ». Enfin, la cour propose des pistes d'évolution pour un nouveau modèle d'Ehpad, visant à renforcer leur capacité de prise en charge, de contrôle ainsi que leur insertion territoriale.
Les principaux enseignements
La prise en charge actuelle n'est pas suffisamment adaptée aux besoins des populations accueillies, dont la fragilité s'est accrue. Plus de 57% d'entre elles souffrent d'une maladie neuro dégénérative et 12% de troubles du comportement. L'âge moyen d'entrée en Ehpad est proche de 86 ans et la durée moyenne de séjour de 2,5 ans en 2015. La fin de vie fait donc partie du quotidien des Ehpad. Cette situation est préoccupante car la population vieillit. Le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait doubler d'ici à 2050. Or la prévalence de la perte d'autonomie croit avec l'âge. Les besoins d'accueil en Ehpad vont augmenter. Le nombre d'ouvertures de places devrait donc doubler pour répondre aux besoins.
Il faut donc identifier les enjeux principaux :
- Le modèle de financement en trois sections (soins, dépendance, hébergement) n'est pas adéquat.
- Le modèle organisationnel, dont la gestion des ressources humaines, participe à la dégradation de la prise en charge. Le secteur tout entier fait face à des manques persistants de personnel qualifié.
- Les autorités de tarification et de contrôle peinent à remplir leurs missions. Les ARS ne parviennent pas à inscrire l'activité des établissements dans une vision stratégique de moyen terme. Les cpom restent des outils administratifs alors qu'ils pourraient être des outils de pilotage stratégiques. « Ni ars ni départements n'ont réussi à promouvoir un système de fonctionnement des Ehpad en réseau alors qu'il ressort de nos travaux que l'insertion au sein d'un réseau d'acteurs de santé ou d'un groupe, qu'il soit au niveau régional ou national est une condition nécessaire d'amélioration de la prise en charge. » De même pour les contrôles qui restent insuffisants et ne sont pas publiés.
Les propositions de la Cour pour renouveler le modèle
Convaincue que les modalités de financement doivent être repensées, la Cour recommande une fusion des sections soins et dépendance. « L'ARS agirait comme responsable unique », précise Pierre Moscovici. Les départements doivent être confortés comme responsables de la politique de prévention dans les territoires, restant parties prenantes des CPOM, afin de veiller à la bonne insertion territoriale des Ehpad. Ces derniers étant de plus en plus médicalisés, et la santé relevant d'une compétence de l'Etat, « cela allègera leurs formalités administratives ».
Les dotations devraient mieux prendre en compte le besoin en soins et les degrés de dépendance. La Cour demande à ce que soient revus et remis à jour plus fréquemment les modes de calcul car plus du quart des Ehpad reçoivent des dotations calculées sur des estimations qui datent de 2015 ou 2016. Ils doivent aussi recevoir des dotations pluriannuelles pour réaliser des actions de la prévention.
Elle recommande également de généraliser le tarif global pour augmenter les ressources médicales et accentuer l'articulation avec les équipes mobiles.
Il est urgent de remédier au problème de recrutement et d'attractivité. Pour cela, il faut renforcer la reconnaissance professionnelle, la revalorisation salariale et travailler à améliorer la formation.
« Plus de formation, plus de valorisation, plus de progression de carrière pour les aides soignants, plus de reconnaissance pour les infirmiers coordonnateurs et les psychologues sont nécessaires pour pallier au manque de ressources médicales », martèle Pierre Moscovici.
Enfin 3è point, la Cour insiste sur la nécessité de mettre l'accent sur le contrôle et la capacité d'organisation des autorités de tutelle. « Toute prise en charge sans contrôle rend fou, c'est à dire inopérant, inefficace et inacceptable ». La Cour prône donc la création de nouveaux indicateurs, référentiels de bonnes pratiques, extension des domaines de compétences des organes de contrôle mais aussi une plus grande transparence vis à vis du grand public avec la publication des indicateurs qualité et rapports conclusifs, la transformation de l'Ehpad en Centre de ressources pour amener à la disparition d'un fonctionnement en silo, et une circulation plus fluide entre le domicile et l'établissement.
Il faut rénover le modèle économique. Dépenser oui mais dépenser bien en s'adaptant aux nouveaux besoins.