Lors d'un colloque organisé par l'Association des juristes de contentieux de droit public (AJCP), Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, rappelait qu'il existe une trentaine de juridictions spécialisées, dont la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale (CNTSS). Leur rôle : faciliter la compréhension de la justice. Illustrations.
La Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale, une institution singulière
Jean-Marc Sauvé estimait que « par leur diversité, ces juridictions administratives spécialisées sont l'expression de ce que certains domaines de l'activité juridictionnelle requièrent soit une technicité particulière, soit une participation plus importante des professionnels du domaine concerné à l'organisation ou à la gestion de celui-ci. Ces juridictions participent, dans le champ de leurs compétences, à une meilleure compréhension et à une meilleure acceptation de la justice rendue[1]. »
La spécificité, la diversité des modalités d'intervention et au final, la complexité et la particularité de fixation de la tarification des secteurs social, sanitaire et médico-social justifient pleinement l'existence d'une juridiction spécialisée.
Quelques jugements du Conseil d'État ont permis d'expliciter ce qui relevait ou non de la compétence des TITSS et de la CNTSS :
- Le prix convenu entre un résident et un Ehpad non habilité à l'aide sociale n'est pas un tarif, le juge du tarif n'est pas compétent (Conseil d'État, 17 octobre 2016, n° 394407) ;
- La contestation de la dégressivité tarifaire, applicable sur les tarifs T2a selon le volume d'activité d'un établissement de santé, relève de la compétence du juge du tarif (Conseil d'État, 9 février 2018, n° 412583, n° 412585, n° 414319).
Nous sommes 6 (3 titulaires et 3 suppléants), élus par le CNOSS et proposés pour siéger 2 ou 3 fois par an à la Cour nationale, dans les locaux du Conseil d'État. Nous participons à l'instance de jugement. Nous ne sommes pas les représentants des établissements, et n'assurons dès lors ni leurs intérêts ni leur défense. Pour autant, notre origine et nos investissements professionnels doivent nous conduire à rendre compte de la manière dont nous vivons et apprécions ce mandat.
S'il est important de connaître les voies de recours à l'encontre d'une décision portant préjudice à l'établissement que nous représentons et au-delà aux personnes qui bénéficient des services de cette structure, il est encore plus important de disposer des moyens qui permettront d'éviter un recours contentieux
Les bonnes pratiques reposent sur la qualité du dialogue de gestion. Elles consistent à éviter le recours contentieux sans que l'établissement ou la collectivité usant de l'autorité de tarification renonce à ses droits et devoirs. Les bonnes pratiques concernent également le tarificateur qui doit examiner les éléments qui lui sont présentés et motiver ses refus, selon un arsenal de moyens prévu par la réglementation.
En clair, il faut mener un réel dialogue de gestion, éviter autant que possible le recours contentieux qui prendra du temps et mobilisera des ressources intellectuelles et financières utiles par ailleurs. Pour autant, un établissement ne doit pas renoncer à ses droits, qui sont aussi des devoirs, envers ceux qui le sollicitent (établissements avec hébergement ou structures intervenant à domicile).
Illustrations concrètes
L'affaire A.2017.06
Il s'agit d'un contentieux de la tarification entre un CHRS et un préfet (autorité de tarification). Le centre d'action sociale conteste le montant de la dotation globale de chacun des cinq centres gérés par cette structure.
Pour déterminer ces dotations, l'autorité de tarification, selon l'instruction du dossier examiné par la CNTSS, s'est fondée sur la « diminution de la dotation limitative régionale » ainsi que sur des « comparaisons de coûts à la place », en prenant en considération les « taux d'encadrement ». Cette comparaison a porté sur un panel incluant les 5 CHRS gérés par le centre d'action social et les CHRS tarifés par le préfet, du territoire sur lequel il a compétence. L'autorité de tarification a pu justifier avoir tenu compte de la nature des missions dévolues à chacun des CHRS (urgence, insertion, stabilisation) et du type de public accueilli par ces structures (avec ou sans enfant). Ces éléments ont été mis en relation avec les dépenses autorisées en 2012.
L'autorité de tarification a mis en évidence, selon son analyse, que les écarts de coûts à la place étaient très importants, tout comme les taux d'encadrement.
Le centre communal, gestionnaire des 5 CHRS n'a pas pu soutenir son argumentation.
- Il soutient que, compte tenu des différences statutaires, les personnels qu'il emploie impactent un coût salarial supérieur à celui qui pourrait être constaté pour les autres gestionnaires. Il n'apporte aucun élément de preuve pour appuyer cette explication.
- Il fait valoir que les qualités d'accueil des 5 CHRS sont meilleures que celles des autres structures qui proposent l'hébergement en dortoir. Le gestionnaire ne démontre nullement en quoi le type d'accueil influe significativement sur le nombre d'emplois.
La convergence tarifaire, dans un contexte de maîtrise des dépenses, assortie d'enveloppes limitatives comporte des effets parfois délétères pour les établissements les mieux dotés. Dans un tel contexte, le dialogue de gestion est nécessaire, le gestionnaire doit s'évertuer à justifier tous les postes de dépenses et démontrer en quoi, avec la dotation qui lui est accordée, il ne pourra pas fonctionner.
L'affaire A.2018.30
Cette affaire concerne un contentieux de tarification entre une association gérant un Ssiad et l'ARS, autorité de tutelle.
Le recours initial présenté devant le TITSS visait à la réformation de la décision du DG ARS par laquelle celui-ci fixait le montant de la dotation globale soins du Ssiad. Pour déterminer le montant de la dotation globale, l'ARS avait retenu, comme excédent d'exercice antérieur, un montant de 81 432,60 euros, alors que l'association établissait celui-ci à 54 108,07 euros. L'objet du contentieux porte sur cet écart.
L'ARS a « pratiqué un abattement de 8 116 euros sur le montant des cotisations fédérales » pour tenir compte du recul d'activité du Ssiad et donc proratiser ce montant au regard du taux d'activité ; pareillement, l'ARS a diminué les dépenses de groupe II pour un montant de 19 208 euros, considérant que celui-ci n'était pas justifié : « La charge du cadre de santé représente un surcoût exorbitant pour un poste d'encadrement de santé intermédiaire pour structurer des structures autonomes sur le plan juridique et disposant déjà d'un temps d'infirmier coordonnateur. »
Concernant les frais de siège, il ressort de l'examen du dossier que la part fédérale est calculée indépendamment de l'activité et résulte d'une clé convenue entre les membres de cette fédération.
Quant au poste d'encadrement, la Cour a estimé que l'ARS n'a nullement justifié en quoi cette dépense, pour un Ssiad de 65 places, était manifestement étrangère à celles envisagées, lorsque les tarifs avaient été convenus et arrêtés.
En conclusion, la décision du DG ARS est réformée, l'excédent est établi à 54 108,60 euros. La fédération est renvoyée devant le DG ARS afin que celui-ci fixe la dotation globale soins du Ssiad.