Directeur général de la Fondation Partage & Vie, Dominique Monneron analyse les effets d'une crise durable sur le fonctionnement des structures et les réflexions stratégiques à mener collectivement pour un accompagnement plus éthique. Interview.
« La crise a révélé un décalage entre ce que les gens attendent des Ehpad et ce que nous sommes en réalité »
Comment la Fondation Partage & Vie a-t-elle traversé cette année délicate ?
La Fondation a rencontré les mêmes difficultés que tout le monde, une crise sanitaire aussi rapide que brutale. Peu de temps s'est écoulé entre les premiers questionnements mi-février et la mise en place de notre cellule de crise le 3 mars, chaque jour apportant son lot de nouvelles interrogations. Cette crise a montré l'absence d'anticipation d'une pandémie. Le pays n'était pas préparé à une épidémie massive, comme on a pu le constater avec le manque d'équipements individuels. Aucune directive claire n'avait été donnée aux Ehpad concernant le changement de stratégie sur les stocks de masques. Nous n'avons pas été informés qu'il fallait se constituer un stock pour 6 semaines. Cela nous a plongés brutalement et collectivement dans un contexte très difficile.
Et en ce qui concerne plus spécifiquement la Fondation Partage & Vie ?
Grâce à notre cellule de crise, nous avons eu la satisfaction de pouvoir produire très vite, des procédures renforcées d'hygiène et de protection, des règles sur la limitation des visites, jusqu'à des prises de décisions difficiles telles que le confinement en chambre des résidents. Tout de suite, nous avons installé une communication en flux régulier, par visioconférence. J'ai aussi adressé une lettre hebdomadaire aux équipes. Nous avons également obtenu un relais et un pilotage de proximité de nos directions territoriales. Mais la cohésion vient de plus loin. Nous travaillons depuis deux/trois ans à l'instauration d'une relation de qualité entre les services supports du siège et nos établissements, à la création d'une vraie communauté professionnelle avec nos directeurs que nous réunissons régulièrement et auxquels nous veillons à donner autonomie et capacité d'action locale. Enfin, nous avons mené un vaste travail de gestion des équipements individuels, par l'achat de 500 000 masques en Chine, dont nous avons suivi la livraison d'aéroport en aéroport jusqu'à nos différents établissements. Nous avons aussi, et c'est un élément important, devancé l'attribution d'une prime Covid dès le mois d'avril, montrant notre capacité à prendre nos responsabilités.
Quels en sont les enseignements ?
Nos établissements restent des lieux de vie, malgré les perturbations, et l'implication de nos collaborateurs y a été encore plus forte dans cette période délicate. Mais la crise a également révélé un décalage entre ce que les gens attendent des Ehpad et ce que nous sommes en réalité avec les moyens dont nous disposons. Une incompréhension demeure sur la prise en soins, le fait qu'il n'y ait pas de médecin à demeure par exemple. Nous avons pourtant augmenté le nombre de personnels soignants pendant la pandémie et mis en place des procédures médicales. Je reconnais aussi que nous avons probablement été protégés durant la première vague par la répartition géographique de nos établissements. Nous avons été relativement peu touchés et n'avons eu à déplorer « que 79 décès », si j'ose dire, parmi les résidents qui sont au total plus de 7400.
Vous semblez avoir moins de difficultés en matière RH ?
Oui et non. Il est vrai que nous n'avons pas connu les difficultés d'absentéisme majeures que d'autres établissements ont pu rencontrer durant la crise. Mais comme tout le monde, nous avons du mal à recruter des infirmières, des aides-soignantes. C'est un problème général structurel qui ne se résout pas facilement. L'autre difficulté réside dans le traitement différencié des salariés entre le public et l'associatif. Aujourd'hui nous faisons patienter nos collaborateurs. En début d'année, lorsque nous serons vraiment certains d'obtenir les financements, nous tenterons de faire un effort de trésorerie mais il y a urgence à recevoir les financements du Ségur. Structurellement on a toujours un risque de fuite des salariés vers le secteur public mais on a la satisfaction de voir des collaborateurs revenir car l'organisation n'est pas tout à fait la même. On arrive plutôt bien à fidéliser nos collaborateurs. Ils apprécient de travailler dans des structures à taille humaine et où il y a souvent beaucoup de convivialité.
Comment avez-vous appréhendé la 2è vague ?
Nous savons très bien que nous ne sortirons pas de cette crise tant que nous n'aurons pas de réponse de santé publique de type vaccin qui nous permette de « baisser la garde ». Nous avons maintenu nos protocoles tout l'été (septaine dès qu'une personne ne dormait pas dans l'établissement...). Cela a généré beaucoup de surcoûts pendant la période mais nous avons aussi profondément modifié nos modes de fonctionnement (changement d'organisation, précautions supplémentaires qui représentent 2 à 3 ETP...) dans les établissements. Nous estimons que ces changements représentent un surcoût moyen par établissement de l'ordre de 80 000 euros.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Cette 2è vague a plus touché cette fois les collaborateurs, et nous observons une répartition beaucoup plus homogène sur l'ensemble du territoire. Cela explique le fait que nos établissements sont davantage touchés. Pour répondre aux besoins de personnels, nous faisons fonctionner la solidarité au sein de notre réseau. Et cela marche même si quelques établissements sont toujours sous tension, avec des systèmes de réserve plus difficiles à actionner. Nous avons aussi du mal à faire respecter les gestes barrières par certaines familles, nous obligeant à mobiliser du personnel de l'établissement. Ce qui est consommateur de temps.
Comment envisagez-vous l'avenir de vos établissements ?
Sur le plan stratégique, nous avons identifié deux axes essentiels. Le premier, c'est notre compétence à prodiguer des soins en établissement, mais aussi partout où résident des personnes âgées. Le deuxième, ce sont les Ehpad comme rouage essentiel dans la médecine de premier recours, notamment grâce à la mise en oeuvre de partenariat avec les hôpitaux de proximité. Il y a aussi une réflexion à mener sur l'organisation médicale dans nos établissements (médecins co prescripteurs, infirmières de nuit...).
Vous avez aussi réfléchi aux conditions de vie des résidents...
Oui pour un cadre de vie harmonieux, on ne peut pas continuer dans une logique de grande organisation collective. Nous souhaitons privilégier une organisation de nos établissements par « hameaux de vie ». Il s'agit de petites unités d'une vingtaine de résidents, avec chacune un relais-cuisine, une salle à manger, des animations dans des salons plus intimes, avec des équipes dédiées pour un lien privilégié.
Vous avez mené des webinaires sur l'éthique, édité une déclaration sur l'éthique. A quel besoin cela répond-t-il ?
On ne pouvait pas concevoir un projet stratégique sans intégrer cette relation interpersonnelle. On a donc élaboré une réflexion éthique pour accompagner toutes les parties prenantes, résidents, familles, collaborateurs. Pour cela, nous avons enclenché un dialogue conduit par Roger-Pol Droit entre des personnalités extérieures et des directeurs d'établissements afin d'élaborer une Déclaration. Il s'agit d'une réflexion partagée, rappelant qu'il est normal que cette question éthique se pose pour tous, mais que seul l'échange permettra d'élaborer des solutions appropriées.