Pour le gouvernement, le retour à l'équilibre du système des retraites impose d'accroitre le taux et la durée d'activité des seniors. Avec l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite l'emploi des 55-64 ans a augmenté de 36,4% en 2004, à 52,3% fin 2019 (la moyenne européenne tutoie les 60%).
La discrimination positive en version senior...
L'emploi des plus de 60 ans reste dramatiquement faible et le nombre de chômeurs de plus de 50 ans a doublé depuis 2008. Alors que de nombreux quincados et sexagénaires veulent relever de nouveaux défis, les entreprises restent fort peu « seniors friendly ». Selon le baromètre du Défenseur des droits, l'âge est le premier critère des discriminations ressenties par les salariés du privé. Triste gâchis.
Dans cet environnement, une petite musique commence à s'entendre. Des députés, emmenés par Corinne Vignon de LREM, évoquent l'instauration d'un quota de seniors dans l'entreprise. A l'image du quota imposé de 6% de salariés handicapés.
Vers une politique de quota ?
Cette approche a le mérite d'être simple et facile à « vendre » aux médias. Mais si la politique de quota a favorisé l'intégration de salariés en situation de handicap, son bilan reste mitigé. Les entreprises privilégient les profils dotés d'une formation excellente et où il y a pénurie. Du coup, une minorité d'handicapés se trouvent éligible au recrutement et la grande majorité reste à la porte...
Surtout, le changement de regard sur la fragilité n'a guère évolué avec ces quotas : la décision de recrutement se fait encore souvent pour éviter l'amende...
Revenons au quota de seniors
De quel âge parle-t-on ? 45, 50, 55, 60 ans... Sur quels critères ? Il s'agira de savoir si ce sont seulement les grandes entreprises qui devront réaliser le quota. Les PME et ETI n'auront-elles pas encore plus de difficultés à recruter si les meilleurs - et les plus motivés - des seniors sont aspirés par les grandes entreprises ? Par ailleurs, les entreprises se sentiront-elles encore libres de leur recrutement ? Pas évident que les entrepreneurs apprécient cette approche hyper dirigiste...
Quelles compétences pour quels besoins ?
Plus complexe encore, comment les organisations pourront-elles adapter ces quotas aux spécificités de leur activités ? Les besoins en compétence peuvent être assez différents entre un magasin d'optique, une société d'informatique, ou un artisan couvreur... Selon les types d'organisation, les attentes divergent et le rapport à l'âge n'est pas identique : une start-up n'aura pas la même appétence pour des seniors qu'une structure dans la santé. Le risque de développer une sorte « d'usine à gaz » est grand...
La qualité du lien intergénérationnel est robuste dans les entreprises, mais on peut, à bon droit, s'interroger pour savoir si le fait d'imposer des quotas ne va pas délégitimer la compétence et l'expérience du senior, et nuire enfin au dialogue et à la coopération entre les générations. La tentation de penser que le senior n'est pas compétent ou qu'il n'est pas un apport si évident à l'entreprise pourrait naître dans le regard des autres salariés. L'imaginaire envers le senior ne peut être identique entre une présence de fait et une présence suspecte d'être imposée par la norme, la loi, l'extérieur...
Il n'est pas sûr que cette politique de quotas, qui demain pourra concerner d'autres publics, vienne contribuer à changer et valoriser l'image des plus de 50 ans... .
Serge Guérin
Professeur à l'INSEEC SBE. Il vient de publier « Les Quincados », Calmann-Lévy