La déflagration provoquée par la publication de l'enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, interroge sur les modalités de contrôle des Ehpad et impose de repenser le système. Le point avec Olivier Richefou, à la veille d'une élection décisive.
« La loi Grand âge doit nous permettre de remettre l'usager au centre du système, de transformer ce "parcours du combattant" administratif en une balade de santé »
Parlons d'abord du scandale Orpea. Le livre[1] pointe le manque de contrôles. Quels sont les outils législatifs ou réglementaires à la disposition des ARS et des départements ? Comment les faire évoluer ?
L'article L. 313-13 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) prévoit que « le contrôle de l'activité des établissements et services sociaux et médico-sociaux est exercé, notamment dans l'intérêt des usagers, par l'autorité qui a délivré l'autorisation ». Ainsi, légalement, la compétence de contrôle est partagée entre les deux autorités qui délivrent l'autorisation, à savoir l'agence régionale de santé (ARS) et le département. Le préfet, donc l'État, dispose aussi de moyens pour diligenter ces contrôles inopinés à tout moment. Tel que mentionné dans le CASF, ces visites de contrôles ne visent que l'ouverture de l'établissement, et aucun rythme de visite n'est prévu par la loi.
Dans les faits, et le texte est clair sur ce sujet, ces contrôles doivent être menés par un médecin inspecteur de santé publique et un inspecteur des affaires sanitaires et sociales. Ces personnels ne sont pas à la main des départements, nous ne pouvons pas les enjoindre d'organiser des visites. Nous pouvons alerter les ARS, nous pouvons accompagner les inspecteurs dans leurs visites, mais les départements n'ont pas le moyen « d'appuyer sur le bouton ».
Concernant leurs évolutions, des pistes sont proposées prévoyant des programmes pluriannuels de contrôle travaillés conjointement entre les ARS et les départements. C'est une piste à creuser, même si cela se déroule déjà dans certains départements, comme le mien. L'enjeu est de travailler sur l'aspect « inopiné » de ces contrôles, et ne pas les cantonner aux sujets administratifs et budgétaires, mais bien au bien-être des usagers.
Le Code de l'action sociale et des familles donne ce pouvoir de contrôle aux départements. Pourquoi est-il si peu utilisé ?
En France, 10 % des Ehpad font l'objet d'une inspection-contrôle de la part de l'ARS chaque année. Les inspections sont menées conjointement avec les services départementaux qui accompagnent les inspecteurs. Je tiens à préciser que selon le cadre juridique, le contrôle est effectué dans la limite des compétences de chaque tutelle. Le département n'est compétent que sur les aspects administratifs et financiers.
Aucune inspection n'a été réalisée en Mayenne depuis 2019. Certaines étaient programmées en 2020 mais ont été retardées en raison de la crise sanitaire. Cette diminution d'inspection est à mettre en lien avec la diminution des effectifs des ARS, non pas au siège régional, mais dans les directions territoriales. Pour faire simple, la baisse des contrôles est due à une baisse de moyens, à laquelle il faut ajouter la complexité de la double tutelle des Ehpad. Avoir deux pilotes dans l'avion peut être dangereux, et les événements récents nous le prouvent.
Le Synerpa appelle l'ADF à la construction d'un registre centralisé, piloté par un unique acteur... Est-ce aussi sa volonté ?
Je rejoins le Synerpa. Il faut un pilote unique sur la politique du grand âge ! L'ADF souhaite pouvoir expérimenter la gestion de la politique grand âge et même de l'autonomie, avec délégation de crédits de l'ARS. À titre personnel, je trouverais intéressant de tester les deux modèles [pilotage par les ARS ou par les départements, ndlr]. Je suis persuadé que le pilotage départemental démontrera son efficience. Nous avons l'envie, nous connaissons nos territoires et les acteurs qui le composent.
Quant au registre unifié, et ici, je parle en mon nom, je pense que la création d'une autorité de contrôle autonome et indépendante qui ne se chargerait que des contrôles et non des autorisations serait une vraie avancée pour nos personnes âgées et leur bien-être. Je la proposerai à mes collègues de l'ADF lors d'une future réunion.
Enfin, si le pilotage de la politique grand âge est attribué aux départements, comme les présidents de départements le demandent, je ne serais pas surpris que l'ARS conserve son pouvoir de contrôle, car nous ne serions plus dans un système de « juge et partie ». Dans un autre domaine que je connais bien, celui de la sécurité civile et plus précisément des sapeurs-pompiers, la direction générale de la sécurité dispose d'une structure indépendante qui lui permet de réaliser des inspections dans les services d'incendie et de secours (SDIS), structures qui relèvent de la compétence des départements.
Parmi les 900 réclamations reçues par la Défenseure des droits, 45 % des dossiers concernent un Ehpad public, 30 % un Ehpad à but non lucratif et 25 % un Ehpad privé commercial. Ces chiffres sont conformes à la répartition des types d'Ehpad sur le terrain. Pourtant nombre de politiques dénoncent « l'or gris et les profits du privé ». Qu'en pensez-vous ?
Sur un département rural comme la Mayenne, les Ehpad privés commerciaux ne représentent que 6 % des établissements, soit 3 pour 50 Ehpad sur l'ensemble du territoire. La majorité de nos établissements sont des Ehpad publics autonomes et privés associatifs.
Concernant les dénonciations de « l'or gris et du profit du privé », ces entreprises ont toujours été des entreprises à but lucratif et cela a toujours été clair. À ce titre, par exemple, ni les ARS ni les conseils départementaux n'ont accès aux données économiques relevant du secteur privé lucratif, et ce, y compris sur la partie hébergement. Je ne pense pas qu'il faille remettre en question l'existence des Ehpad privés à but lucratif, mais avoir un droit de regard sur leurs comptes au même titre que les établissements relevant du champ médico-social me paraît être une proposition raisonnable.
La ministre Brigitte Bourguignon a annoncé réfléchir à ce que ces entreprises deviennent des « société à mission » comme le prévoit la récente loi Pacte. Cette nouvelle qualification juridique permettrait un contrôle des comptes par un audit externe indépendant. C'est une avancée à laquelle il faut réfléchir, mais elle me semble pertinente.
Vous allez expérimenter dans le domaine de l'enfance un contrôle tournant. N'y a-t-il pas là un risque d'accords tacites entre les différents départements ?
Les élus ne sont pas là pour couvrir les maltraitances mais pour les stopper ! Je ne connais pas de collègues qui m'appelleraient pour me demander de camoufler des situations telles que celles qu'on a pu entendre dans le flot de témoignages qui a suivi l'affaire Orpea. Nous sommes des élus sérieux qui souhaitons le bien-être de nos citoyens et des nos aînés, l'idée n'est pas de camoufler mais d'identifier et d'agir là où il peut exister un risque qualifié.
Il existe également l'idée d'une autorité indépendante pour le contrôle des Ehpad mais cela supposerait qu'on puisse avoir un vrai débat de société sur le grand âge et l'autonomie, ce que l'abandon du projet de loi ne nous a pas permis... Et je le regrette fortement.
L'ADF demande aujourd'hui d'attribuer un pouvoir total aux départements. La loi 3DS pourrait-elle les y aider ?
Malheureusement la loi 3DS ne nous a pas permis d'obtenir ce que nous souhaitions, à savoir le chef de filât sur la politique grand âge et le médico-social. Elle nous attribue simplement un pouvoir de coordination sur l'habitat inclusif et l'adaptation des logements au vieillissement de la population.
Nous demandions un pouvoir de nomination sur les directeurs des Ehpad, car l'ARS les désigne seule ! Cette proposition, portée par voie d'amendement, n'a malheureusement pas été retenue.
Le PLFSS pour 2022 nous a donné quelques gages d'une compétence qui pourrait être élargie sur trois sujets : la coordination des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spassad), la rédaction d'un rapport sur le service public territorial de l'autonomie (SPTA), qui est un sujet qui me tient particulièrement à coeur et que je porte aux côtés de Dominique Libault, et les plans d'investissement de l'Ehpad du futur.
Il y a un évident problème de recrutement dans les Ehpad. Que proposez-vous ou avez-vous déjà testé pour rendre les métiers du grand âge plus attractifs ?
Il y a un défi d'attractivité des métiers sur l'ensemble du secteur que ce soit en Ehpad ou dans les services à domicile. Sans personnel, nous ne serons jamais à la hauteur du défi.
Le premier élément pour rendre attractifs ces métiers repose sur les augmentations salariales, on ne peut plus détourner le regard. Certains métiers ne sont pas rémunérés à leur juste valeur, et ce sentiment s'est exacerbé lors des vagues de revalorisations du Ségur, avec un point d'orgue lors des négociations de l'avenant 43 qui exclut encore les personnels des CCAS.
Mais l'attractivité du métier ne repose pas uniquement sur les salaires. À titre d'exemple, dans le département, j'ai mis à disposition des SAAD des véhicules électriques pour leurs personnels, qu'ils peuvent remiser à leurs propres domiciles, c'est un pas de plus vers l'attractivité des métiers, et je compte aller plus loin !
Il faut aussi se pencher sur les carrières et décloisonner. Une personne devrait pouvoir passer une partie de sa semaine en service à domicile si elle le souhaite car cela lui confère une forme d'autonomie sur ses journées et son agenda, et l'autre partie en Ehpad, ce qui lui permet de travailler en équipe, d'évoluer dans un contexte différent. Je pense que cette souplesse serait appréciée par certains professionnels, il faut pouvoir la leur offrir.
Enfin, pour développer une vraie politique d'attractivité de ces métiers, le national et les élus locaux doivent travailler de concert : un État qui porte une large et vaste campagne de communication, et des territoires qui offrent des dispositifs pour les personnes souhaitant s'engager dans ces métiers.
En Mayenne, nous travaillons avec des jeunes en service civique [portés par Unis-Cité[2], ndlr] pour qu'ils puissent s'engager dans les Ehpad. Cela suscite des vocations, c'est une très bonne chose ! Nous mettons en place, sur le modèle de la Corrèze, une académie des métiers de l'autonomie. Pour faire face à ce défi, nous devons avancer, État et départements, dans une vraie dynamique de complémentarité.
Qu'attendez-vous du 5e risque et du futur président ?
J'attends du futur président de la République la mise en oeuvre de la loi Grand âge et les débats qui l'accompagneront. Cette loi doit nous permettre de remettre l'usager au centre du système, de construire une politique de l'autonomie qui simplifie les démarches et l'accès aux droits des usagers et de leurs proches, de transformer ce « parcours du combattant » administratif en une balade de santé. Ces droits, la société le leur doit, permettons-leur de les avoir !