Nommée ministre déléguée chargée de l'Autonomie par Jean Castex le 6 juillet 2020, Brigitte Bourguignon livre en primeur à Géroscopie sa feuille de route pour les semaines à venir. Interview.
"La loi Grand âge et autonomie doit avoir le même pouvoir transformant que la loi de 2005 relative au handicap"
Vous arrivez dans une actualité très chargée pour le grand âge. Tout d'abord, pouvez-vous nous préciser quelles sont votre feuille de route et vos priorités à court et moyen termes ?
Dès mon arrivée, j'ai souhaité m'assurer que celles et ceux qui interviennent au domicile de nos compatriotes confrontés à la perte d'autonomie ne soient pas les « oubliés de la prime Covid ». Autrement dit, que leur engagement durant la crise sanitaire soit pleinement reconnu, au même titre que celui des professionnels des hôpitaux et des EHPAD. Le Premier ministre y a été très sensible et faisant suite à des échanges constructifs avec l'ADF, c'est le Président de la République lui-même qui a tenu à en faire l'annonce cet été à Toulon. L'État va prendre sa part à cette juste reconnaissance : 80 millions d'euros ont ainsi été mobilisés pour soutenir financièrement les conseils départementaux qui auront versé d'ici à la fin de l'année une prime exceptionnelle à ces professionnels mobilisés en première ligne.
Le Ségur de la Santé, animé avec détermination par Olivier Véran, a par ailleurs débouché sur des mesures concrètes pour le secteur, en premier lieu pour les professionnels avec une revalorisation historique des salaires des soignants dans les EHPAD. Il nous faut maintenant travailler pour la rénovation et la transformation des établissements, la construction d'habitats partagés pour favoriser le maintien au domicile ou encore l'investissement numérique dans les établissements et le secteur du domicile.
Comme en témoignent ces premières avancée significatives, ma feuille de route est très volontariste : il s'agit de transformer en profondeur l'accompagnement du grand âge, à l'aube d'une importante transition démographique.
Nous lancerons dans les prochains jours le « Laroque de l'autonomie », du nom du fondateur de la politique vieillesse dans notre pays, dont je souhaite qu'il soit un véritable exercice de co-construction avec l'ensemble des parties prenantes et au plus près des territoires, des grands axes de notre ambition pour l'autonomie mais aussi et surtout de solutions concrètes, adaptées aux besoins et réalités du terrain.
Comment s'articule votre mission avec le ministre de la santé, qui n'était pas très favorable à la création d'un poste de ministre déléguée à l'autonomie ?
Nous partageons avec Olivier Véran la même vision du sujet et les mêmes priorités. Dans la continuité de son action, nous conduirons ce beau chantier main dans la main. Je défendrai plus particulièrement les sujets qui me tiennent à coeur du fait de mon expérience et de mon parcours personnel, qu'il s'agisse du bien vieillir chez soi ou de l'attractivité des métiers du grand âge. Je n'oublie pas la reconnaissance du rôle essentiel et de la place des aidants dans la société, sur laquelle je travaille avec ma collègue Sophie Cluzel, secrétaire d'État aux personnes handicapées.
Le projet de loi « Grand Age et autonomie » est très attendu des professionnels. Comment pensez-vous le redynamiser pour en faire LA grande loi plébiscitée depuis des années ?
Ce projet de loi n'est pas seulement un exercice législatif. Ce sera un moment de « bascule » pour la politique du grand âge, qui doit nous permettre d'avancer vers une vraie société de la longévité, dans laquelle être aîné ne voudra pas dire renoncer à sa voix, à sa liberté de choix et surtout à sa dignité. Cette loi doit avoir le même pouvoir transformant que la loi de 2005 relative au handicap qui a entraîné un véritable mouvement de fond.
Le débat sur la gouvernance entre conseils départementaux et ARS est actuellement assez tendu. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Je crois qu'il faut dépasser ce débat et voir les choses de manière plus large ! La question du « qui fait quoi » au niveau institutionnel est importante mais elle est loin de résumer le défi qui est devant nous. La question qui se pose vraiment, c'est celle de la libération de la capacité d'agir des territoires pour qu'ils puissent vraiment, en mettant tout le monde autour de la table (collectivités territoriales - et en premier lieu les départements mais aussi le bloc communal - les services de l'Etat, les caisses de sécurité sociale, etc.), aménager le cadre de vie des aînés sous tous les aspects : lieux de vie, urbanisme, transports...
Olivier Véran a annoncé le doublement du nombre d'aides-soignants formés d'ici 2025 lors du Ségur de la Santé. Or on connaît la difficulté à recruter des candidats. Aujourd'hui les organismes de formation ne remplissent pas leurs classes...
Certes. Il y a un fossé entre les besoins de recrutement qui grandissent et qui continueront de croître avec la transition démographique et l'attractivité des métiers. Il n'y a pas de recette miracle et l'excellent rapport de Myriam El Khomri propose à juste titre de travailler en même temps sur différents leviers : les formations et les carrières, mais aussi les rémunérations pour les services à domicile, la lutte contre la sinistralité, le renforcement du taux d'encadrement dans les établissements, etc. C'est en agissant sur tous ces fronts que nous serons efficaces pour renforcer l'attractivité des métiers du grand âge
Lors du Ségur, vous avez annoncé 4 priorités pour la santé des personnes âgées. Comment et dans quel délai allez-vous les mettre en oeuvre ?
Nous avons déjà engagé le travail de soutien aux équipes mobiles intervenant sur les lieux de vie des personnes âgées : nombre d'EHPAD et de personnes âgées à domicile ont d'ailleurs bénéficié de leur déploiement pendant la crise, et nous allons poursuivre l'effort. En 2021, nous étendrons le dispositif des infirmières de nuit pour les EHPAD qui le souhaitent et avancerons dans l'organisation des parcours d'admissions directes non programmées des personnes âgées dans les établissements de santé.
Qu'attendez-vous de la mission pilotée par Laurent Vachey sur le financement de la 5è branche ?
Ce que nous souhaitons, avec Olivier Véran, c'est permettre à ce beau projet de création d'une cinquième branche d'entraîner des changements concrets et visibles pour la vie des gens. Plus qu'une simple construction institutionnelle, la cinquième branche représente un véritable projet de société. L'universalité en sera l'un des principes directeurs : chaque Français, quel que soit son lieu de vie, doit pouvoir accéder à une offre d'accompagnement, à domicile comme en établissement, avec moins de disparités territoriales dans les prix comme dans la qualité.