Dans le n° 89-février 2018  - Marie de Hennezel  9725

« La loi sera appliquée quand la culture de la mort ne sera plus taboue »

Psychologue clinicienne, psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages sur l'accompagnement de la fin de vie, Marie de Hennezel se spécialise sur la question du vieillir, de la mort et de la manière de l'accompagner. Entretien.

La loi Clayes Leonetti a été adoptée il y a deux ans. Quel bilan peut-on en tirer ?

Marie de Hennezel :

Il faudrait commencer par évaluer son application avant de tenter de tirer des conclusions. Aucune pédagogie n'a été réalisée et je crois que les principes de cette loi ont été mal compris, notamment en matière de sédation. Beaucoup de gens ne savent pas dans quels cas l'appliquer, pensant qu'il s'agissait d'une euthanasie déguisée. Or la loi Clayes Leonetti permet à une personne souffrant d'une maladie incurable de demander à dormir avant de mourir. La sédation ne tue pas. Elle endort le malade qui ne se sent pas capable de supporter ces instants de fin de vie. Cette distinction n'a pas été comprise par le grand public. L'autre élément essentiel de cette loi est la systématisation des directives anticipées. Il est choquant de constater que la signature de directives anticipées n'est pas encore systématique en EHPAD. Je me bats aujourd'hui pour qu'on respecte les souhaits, les désirs des personnes âgées. Comment une personne qui a demandé à mourir dans son lit peut-elle se retrouver agonisant sur un lit d'hôpital ? Les médecins eux-mêmes ne respectent pas ce chapitre. C'est pourtant fondamental et c'est bien l'esprit de cette loi : respecter la volonté des personnes pour leur redonner confiance.

Comment cette question de la mort est-elle abordée en EHPAD ?

Marie de Hennezel :

Le personnel des EHPAD a beaucoup de difficultés à aborder cette question de la fin de vie. Or le fait d'éviter les questions angoisse et isole les personnes dont la mort est présente et proche du fait de leur grand âge. Il faut donc saisir toutes les occasions (le décès d'un voisin de chambre par exemple) pour faire parler les gens, connaître leurs volontés, leurs désirs mais aussi leurs inquiétudes. Le projet personnalisé est aussi un outil d'information et d'échange avec les équipes. La mauvaise ou non application de la loi ouvre en revanche un boulevard aux interprétations et comportements inadaptés.

Comment les décès sont ils annoncés en EHPAD ?

Marie de Hennezel :

C'est très hétéroclite en fonction des établissements. Dans certains EHPAD, on cache le décès des résidents. Or il s'agit bien de la manière dont la personne quitte un établissement, dont elle sort de la vie. Lorsque la mort est masquée, que le corps est évacué par le même chemin que les poubelles, c'est très difficile à vivre pour les résidents, très angoissant. Chez Korian, j'ai vécu l'expérience de la haie d'honneur 1 . Le corps sort par la grande porte, devant les résidents, familles, personnels qui le souhaitent. Une haie d'honneur est organisée pour l'accompagner jusqu'à la sortie. Le tout en musique, choisie par le résident lui-même. La question de la mort n'est pas mise de côté. C'est d'ailleurs une expérience extraordinaire, emprunte de respect et d'une grande humanité. Recueillie, l'assemblée accompagne le corps jusqu'à la porte de l'établissement. C'est vraiment un moment très émouvant, un hommage au défunt, mais aussi à la famille et aux vivants, ceux qui restent. Cela rassure sur le traitement qui pourra leur être fait quand leur tour viendra.

Y a t-il eu des progrès en matière de soins palliatifs ?

Marie de Hennezel :

Là aussi la situation est très inégale. Lorsque des conventions sont signées avec des équipes mobiles, les équipes de soins palliatifs interviennent mais peu d'établissements ont signé ces conventions. Il est impératif d'améliorer la communication sur ces questions. Lors d'un entretien avec la conseillère santé d'Emmanuel Macron, j'ai d'ailleurs insisté pour que cette question de la pratique soit systématiquement posée dans tous les lieux où l'on meurt aujourd'hui. Une parole politique de haut niveau aiderait beaucoup à la prise de conscience.

N'est-ce pas un problème de formation des équipes ?

Marie de Hennezel :

Les soignants sont plutôt bien formés et connaissent les besoins. En revanche subsistent peur et résistance au sein des équipes de direction par manque de formation. Ils n'ont souvent jamais entendu parler des pratiques d'accompagnement de fin de vie durant leurs cursus initiaux. Pourtant le prendre soin inclut de pouvoir parler de la mort. Korian, encore lui, m'a demandé d'intervenir devant ses directeurs. C'était aussi riche que passionnant. Les directeurs sont demandeurs et curieux d'outils pour aborder ces questions. La loi ne sera appliquée que lorsque la culture de la mort ne sera plus tabou.

Les États généraux de la bioéthique s'ouvrent aujourd'hui. Que peut-on en espérer ?

Marie de Hennezel :

Il est important que le public puisse débattre. Mais le fait d'échanger ne signifie pas qu'on va nécessairement légiférer. D'autant qu'il va d'abord falloir commencer par évaluer le conditions d'application de la loi actuelle. Le président de la république lui-même est très conscient de la nécessité d'évaluer cette loi avant d'en proposer de nouvelles. Il faut comprendre quels sont les freins à sa mise en place. Aujourd'hui les français n'ont pas confiance dans la manière dont la loi peut être appliquée. Lorsqu'ils évoquent la fin de vie, ils utilisent un vocabulaire spécifique particulièrement négatif (« je ne veux pas être un paquet », « soumis à la torture », « être réduit à l'état de chose »...). Et ce sans savoir qu'ils peuvent être endormis s'ils ne se sentent pas capables de vivre cette maladie jusqu'à la fin. Il y a aussi une perte de confiance puisque les personnes âgées sont envoyées à l'hôpital pour mourir alors qu'elles souhaitaient rester chez elles. Elles pensent que leurs volontés ne seront pas respectées. Beaucoup de médecins n'ont pas non plus bien compris la possibilité qui leur est offerte de sédater un patient qui redoute le non retour lié à l'évolution de sa maladie. Et ce n'est pas une euthanasie déguisée. Du point de vue du médecin, les conséquences psychologiques sont bien différentes. Ce n'est pas la même chose d'endormir quelqu'un qui va mourir quelques jours plus tard pour le soulager et de réaliser une injection létale.


Mini bio

Psychanalyste Jungienne, Marie de Hennezel a consacré 20 ans à l'accompagnement de la fin de la vie et écrit de nombreux ouvrages sur le sujet (dont la mort intime, préfacé par François Mitterrand). Chargée de mission au Ministère de la santé, elle a produit deux rapports ministériels dont le premier Fin de vie, le devoir d'accompagnement a inspiré la loi Leonetti sur les droits des malades en fin de vie.

Depuis dix ans, elle s'intéresse à l'expérience spirituelle du "vieillir". Elle a écrit plusieurs ouvrages et anime des séminaires sur l'art de bien vieillir et de rester désirant pour la Mutuelle Audiens. Elle anime en parallèle des parcours L'aventure de vieillir pour les résidences Domitys. Elle fait partie du Comité scientifique de l'Institut du Bien vieillir Korian. Elle collabore régulièrement comme chroniqueuse au magazine Psychologies.

La question du sens de l'âge est au coeur de son enseignement. Comment faire de son avancée dans la deuxième moitié de la vie une expérience féconde et spirituelle? Comment devenir une Source pour son entourage? Comment accomplir sa vie?


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