Pour Marie de Hennezel, psychologue *, les conditions d'une mort digne exigent des Etats Généraux pour véritablement informer des moyens déjà existants pour améliorer la fin de vie. Interview.
« La mort digne s'ancre dans la solidarité humaine »
Que pensez-vous de l'avis rendu par le CCNE du point de vue de la dignité des personnes âgées ?
Le CCNE se montre prudent quant à une avancée législative qui, sous couvert de protéger leur dignité, ouvrirait la porte à une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté. Quand on parle de la dignité des personnes âgées, il faut se poser la question de la dignité de leur vie. Ces personnes sont-elles entourées, accompagnées ? Ont-elles le sentiment de faire encore partie de la communauté des humains ? C'est cette dignité-là, de la vie de tous les jours, que nos pouvoirs publics se doivent de protéger. Comment ? En améliorant la vie dans les établissements pour personnes dépendantes, en valorisant les métiers d'aide à la personne, en réintroduisant de la solidarité intergénérationnelle, en luttant de toutes ses forces contre l'isolement, et enfin en diffusant la culture palliative.
Aujourd'hui, les tenants du suicide assisté disent que les dérives sont impossibles, mais le lapsus récent d'un médecin belge, interrogé lors d'un reportage diffusé sur ARTE, montre que le suicide ne sera pas seulement "permis" mais "proposé" comme une solution. Le CCNE est manifestement conscient du danger de ces dérives.
Qu'espérez-vous d'un débat public comme il est prévu ?
Je crains malheureusement qu'il n'ait pas lieu ou qu'il soit escamoté. On lancera un sondage biaisé, avec des questions ambigües, qui révèlera que la majorité des Français sont pour la légalisation de l'euthanasie.
Un vrai débat demanderait à ce que la loi que nous avons, la loi Leonetti, soit expliquée et commentée pour qu'on sache ce qu'elle permet.
Un vrai débat demanderait à ce que les personnes âgées puissent s'exprimer. On serait surpris de découvrir que la loi Leonetti bien appliquée leur convient parfaitement.
Il demanderait à ce que l'inertie des pouvoirs publics soit dénoncée. Savez-vous que 50?% seulement des personnes qui auraient besoin de soins palliatifs reçoivent de tels soins ? Alors que depuis 1999 l'accès aux soins palliatifs est garanti par la loi ! Si la législation évolue, d'un côté, les gens informés, sauront trouver les structures capables de les accompagner jusqu'au bout de manière humaine et digne, de l'autre, les gens mal informés, isolés, désespérés se verront proposer la mort anticipée comme solution !
Qu'attendez-vous du gouvernement et que craignez-vous ?
Un gouvernement de gauche s'honorerait de ne pas prendre des décisions trop rapides, ni susceptibles de créer de nouveaux clivages dans la société. On sait que la plupart des médecins et des soignants sont opposés à une évolution de la loi dans le sens d'une légalisation de l'euthanasie ou du suicide assisté. Une nouvelle loi sera sans doute inapplicable. Comme le disait Robert Badinter, elle créera plus de zones d'ombre qu'il n'y en a déjà.
* Spécialiste des soins palliatifs et auteur de « Nous voulons tous mourir dans la dignité » aux Éditions Robert Laffont