Appelée de ses voeux par les fédérations du secteur sanitaire, social et médico-social au bénéfice des professionnels ayant répondu présents, sur le terrain, pour gérer la crise sanitaire, la prime Covid est « presque » en phase d'être versée par les établissements et services. Presque...
La prime Covid : à manipuler avec précaution...
Parce qu'elle manque de fondement normatif
Le seul texte de référence à date est l'instruction n°DGCS/SD5C/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2020/87 du 5 juin 2020 relative aux orientations de l'exercice 2020 pour la campagne budgétaire des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, précisément l'annexe 10 portant sur la mise en place d'une prime exceptionnelle pour les personnels de ces établissements, dans le cadre de l'épidémie de Covid-19. Cette annexe présente des éléments tenant au périmètre, aux principes de mise en oeuvre, sans portée normative généralisée.
Il est à rappeler que le versement de la prime Covid est assuré sous réserve de l'adoption définitive de la loi de finances rectificatives pour 2020.
Certes, l'annexe précité détaille les conditions de versement de la prime Covid, tout en soulignant que les textes juridiques visés viendront formaliser le dispositif juridique. Les employeurs ont toutefois la possibilité de verser cette prime par anticipation, sans attendre la publication des textes.
Le 23 juin 2020, a été voté un amendement emportant article additionnel à l'article 11 de la loi n°2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020, lequel exonère la prime Covid d'impôt sur le revenu, de cotisations et contributions sociales d'origine légale ou conventionnelle, ainsi que de toutes autres cotisations et contributions dues. Cette exonération serait ainsi étendue à la prime versée par les établissements privés de santé ou du secteur social et médico-social.
Mais finalement, à ce jour, juridiquement, la prime Covid n'existe pas...
Parce qu'elle pêche par défaut de précisions des critères de modulation
Si le montant de la prime peut dépendre de la localisation de l'établissement, et particulièrement de la zone de contamination la plus touchée, il variera éventuellement en fonction du nombre de patients accueillis pendant la période du 1 er mars au 30 avril 2020 - période dont il n'est d'ailleurs pas précisé si elle est immuable ou dérogeable.
Au passage, il est probablement à regretter de voir exclus du bénéfice de la prime les salariés intérimaires, alors que le code du travail leur accorde pourtant une rémunération équivalente à celle versée aux salariés de l'entreprise utilisatrice. Il est également surprenant d'avoir mis de côté les travailleurs handicapés d'ESAT.
L'employeur pourrait, comme un acte de management attendu, décider unilatéralement ou négocier avec les partenaires sociaux de répartir la prime, soit en s'inspirant des critères d'attribution imposés pour la fonction publique, soit en s'inspirant de paramètres plus travaillistes, en distinguant d'une part les absences assimilées à du travail effectif et les absences non assimilées, soit tout simplement en ne retenant que la simple présence sur site, puisque, elle seule, est susceptible de donner lieu à contamination, et que c'est bien cette mobilisation de terrain, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui est récompensée.
La seule limite serait de retenir des critères objectifs et pertinents, et dans le meilleur des cas non discriminatoires, ce qui peut s'avérer délicat en présence de consignes des autorités de financement non compatibles.
Les financeurs ont d'ores et déjà annoncé leur attachement à la non fongibilité des fonds, ce qui est évident, la menace de contrôles par l'URSSAF planant subrepticement au-dessus des gestionnaires.
Parce qu'elle n'est pas suivie d'un financement généralisé sur le territoire
Dès le mois de juillet, des crédits seront accordés par les ARS au bénéfice des établissements financés ou co-financés par l'assurance maladie, associés le cas échéant à un dispositif de compensation. Certains Conseils départementaux ont d'ores et déjà annoncé qu'ils accorderaient une enveloppe au titre des établissements sociaux ou médico-sociaux qu'ils financent. Mais pas tous...
Certains secteurs d'activités restent en outre oubliés (services de tutelle, aide à l'emploi...). Comment alors raisonner, en termes de ressources humaines, par souci d'égalité de traitement ?
Si un strict contrôle de cohérence entre les montants versés et la distribution opéré est déjà annoncé, ce contrôle pourra porter également sur l'articulation de ce dispositif avec celui de la prime exceptionnelle de pouvoirs d'achat, issue de la loi n°2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020, ouverte au critère de modulation tenant compte des conditions de travail liées à l'épidémie de Covid-19 par l'ordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020.
Parce que son articulation avec la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat n'est pas claire
Si le versement de la prime Covid est cumulable avec la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, les exonérations pouvant s'ajouter, tout montage visant à déduire l'une de l'autre ou à compléter l'une par l'autre est à imaginer avec prudence et idéalement objet d'un rescrit.
Une position de l'ACOSS à ce sujet serait la bienvenue... pour éviter que verser une prime Covid devienne un risque comptable à provisionner.
Mélanie Souterau-Thiebaut
Avocat Conseil - Associé.
Cabinet Barthélémy Avocats