Tout juste nommé Directeur des établissements et services à la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, Gaël Hilleret revient pour Géroscopie sur les effets de la crise. Interview.
« Le lien entre le secteur sanitaire et le médico-social a été fondamental pour affronter la crise »
Quel regard portez-vous sur la situation desEhpad, et leur gestion de la crise ?
Je voudrais d'abord souligner l'engagement remarquable des professionnels, dont les directeurs dans cette situation inédite. Nous avons vu émerger des initiatives exceptionnelles, le déploiement d'organisations locales. Les directeurs se sont trouvés confrontés à des logiques différentes, voire contradictoires, présentes en temps normal, mais exacerbées pendant cette période. C'est la responsabilité d'un directeur de concilier sécurité et liberté mais cette mission s'est révélée particulièrement délicate et compliquée ces derniers mois. Ils devaient limiter les risques sanitaires, garantir la sécurité des résidents et respecter les libertés individuelles. Les Ehpad sont naturellement soumis à des attentes fortes sur la question sécuritaire qui sont exacerbées en temps de crise. La pression médiatique était très forte, les familles dans des situations d'inquiétude très vives et les autorités de contrôle particulièrement vigilantes. Nous avons ainsi vu s'entrechoquer tout au long de la crise cette co-existence des deux logiques. Comment séparer les résidents Covid + et Covid - ? Comment limiter ou autoriser les droits de visite ? Cela interroge en profondeur le sens et la mission d'un Ehpad, lieu de soin et lieu de vie.
Avez-vous observé des logiques différentes d'un établissement à l'autre ?
Oui les situations sont différentes et tiennent à la diversité des établissements eux-mêmes, aussi bien en termes de configuration de locaux, d'équipes, de caractéristiques des résidents, que de statut. Il est normal que les réponses soient diverses face à une crise de cette nature. Mais il faut aussi compter avec la multiplicité des injonctions, et l'évolution des recommandations émanant des niveaux différents (national, régional, départemental).
À la décrue de cette crise, nous observons d'ailleurs que les choses se sont d'autant mieux passées dans les territoires que les acteurs concernés avaient déjà pris des habitudes de travail en commun, de coopération. Je pense notamment aux gestionnaires. Le lien entre le secteur sanitaire et le médico-social a été fondamental pour affronter la crise. Des équipes mobiles ont ainsi pu être déployées, des coopérations menées au sein même des administrations, entre ARS et départements. Selon les cas, cela a pu faciliter ou au contraire compliquer la conciliation entre ces deux logiques contradictoires auxquelles ont été confrontées les directions d'Ehpad. Le climat de coopération et de confiance avec les autres acteurs a été décisif. La CNSA a joué un rôle de soutien vis à vis de l'ensemble des acteurs pour concilier tous ces éléments et amener de la fluidité.
Comment ce rôle s'est-il exercé ?
Du point de vue opérationnel, la DGCS et la CNSA animent les réseaux des administrations compétentes du secteur de l'autonomie, dans la mise en oeuvre et le suivi des politiques. La CNSA outille les différents acteurs - ARS, conseils départementaux ... - et favorise l'échange. De façon très concrète actuellement, pour mettre en oeuvre les primes qui doivent être versées aux professionnels suite à la crise, nous travaillons avec les agences régionales de santé sur les outils de recueil d'informations et l'élaboration de grilles communes nationales. Nous échangeons avec les fédérations, le tout en lien avec la DGCS. Nous allons aussi ouvrir des discussions avec les différents partenaires autour des enjeux de conventionnement dans l'objectif de favoriser ces logiques d'échanges.
La phase de retour d'expérience actuelle, coordonnée par la DGCS, vise à répondre à l'enjeu de court terme qui est d'anticiper une éventuelle reprise de l'épidémie. Nous avons appris beaucoup ces dernières semaines, notamment en matière de coopération d'équipes entre le médical et le médico-social, sur l'hygiène, les soins palliatifs, des cellules de crise communes, des échanges très étroits avec les fédérations... Il nous faut maintenant capitaliser et organiser ces savoir-faire.
A moyen et long termes, il est essentiel de tirer les enseignements de la crise et d'observer comment ils peuvent alimenter la réflexion sur la constitution d'une 5è branche, ou participer à la transformation de l'offre souhaitée au niveau national.
La CNSA a beaucoup travaillé sur les métiers du grand âge. Quelles sont les priorités ?
Il faut intensifier les efforts engagés pour la promotion et la valorisation des métiers. Il est prioritaire de résoudre les tensions de recrutement, favoriser l'attractivité des métiers. La crise renforce encore cette nécessité. La « prime grand âge » est une des réponses. Elle représente une dépense annuelle estimée à 143 millions d'euros. Au-delà, il faut favoriser la coopération. La CNSA finance les OPCO et les OPCA pour la formation -près de 100 millions d'euros entre 2018 et 2020-, mais aussi les ARS et conseils départementaux sur des mesures ciblées en faveur de la qualité de vie au travail ou de la formation professionnelle. L'enjeu est ici encore de favoriser la logique de plateforme des métiers et la coopération.
La création d'une 5e branche est aujourd'hui actée. Les financements envisagés vous semblent-ils répondre aux besoins ?
Les financements de la campagne 2020 sont considérables. Pour preuve, l'objectif global de dépenses de la CNSA a été augmenté de 1,2 milliard d'euros pour assumer les différents surcoûts liés à la crise (prime, compensation d'éventuelles pertes de recettes, des surcoûts des établissements...). Par ailleurs, l'annonce de création d'une 5 e branche a été reliée à l'affectation de 0,15 point de CSG en 2024. Cela représente 2,3 milliards d'euros par an. C'est un effort de long terme qui fournit une marge de manoeuvre pour répondre à une partie du sujet. Enfin, entre la mesure de court terme de traitement de la crise et 2024, les discussions sont en cours, mais le ministre a déjà confirmé de nouveaux moyens conséquents dès 2021. La constitution d'une 5 e branche démontre surtout la mise en cohérence et l'élargissement du périmètre d'intervention, offrant une vision plus globale de ce qu'est la compétence autonomie et la manière dont le secteur doit s'organiser. C'est un changement majeur. Tout l'enjeu des concertations est de réfléchir ensemble aux priorités pour les nouveaux financements qui se dessinent : effectifs, rémunération, qualité de prise en charge, reste à charge...