Dans le n° 136-février 2022  -  Elles en action  12575

« Le service civique indemnisé démocratise l'engagement et donne à des jeunes de tous les milieux la possibilité de se rendre utiles »

Apprendre la citoyenneté par l'action, tel est le credo de Marie Trellu-Kane, présidente fondatrice d'Unis-Cité, à l'origine du lancement du service civique puis du service civique solidarités seniors. Entretien.

Quel est votre parcours ?

Fille d'enseignants, j'ai grandi dans une famille de la classe moyenne. Bonne élève, j'ai atterri à 19 ans à l'ESSEC. Habitant dans un quartier populaire de Cergy, j'ai navigué pendant des années entre les « jeunes des quartiers » et « l'élite » des étudiants de grandes écoles. Quand j'ai découvert grâce à une jeune américaine, Lisbeth Shepherd, le service civil américain que Bill Clinton venait de lancer, appelant les jeunes américains à donner une année de leur vie à la société, selon l'adage de Kennedy « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour votre pays », j'ai trouvé l'idée puissante. Inviter les plus jeunes à consacrer une année à servir l'intérêt général pour prendre conscience de leur rôle dans la construction de la société de demain. Tout en leur faisant vivre une année de mixité sociale, entre jeunes d'origines sociales et parcours différents, pour apprendre à apprécier leurs différences comme une force.

Vous aviez déjà une réelle vision d'expérimentation...

Oui nous voulions proposer une année de service citoyen conçue comme un complément naturel de l'école. Une année d'apprentissage par l'action collective et le service : dans les quartiers, les écoles, auprès des personnes âgées... partout où il y a des besoins. Une année pour apprendre à vivre et agir ensemble, dans un esprit de responsabilité et de solidarité. Unis-Cité est devenue le laboratoire pour une nouvelle forme de service national citoyen, de fraternité. Elle a fait naître puis porté le développement de ce qu'on appelle aujourd'hui le « service civique », en essayant de ne pas perdre les objectifs du départ. Cela fait 25 ans maintenant, et malgré les étapes de reconnaissance et d'évolution du dispositif, notre vision de l'intérêt de l'idée est toujours aussi forte.

Comment cette alchimie s'est-elle construite entre une initiative citoyenne et une politique publique, aujourd'hui reconnue de tous ?

Il a d'abord fallu convaincre les jeunes, dans leurs diversités. Il a aussi fallu trouver des missions pour ces jeunes, sur le terrain, dans des écoles, des associations, des hôpitaux, des Ehpad... et enfin obtenir l'adhésion des politiques pour créer un cadre légal, dégager des financements, promouvoir le dispositif... Parmi ces trois acteurs (jeunes, associations, politiques), ce sont finalement les jeunes qui ont été les plus faciles à convaincre, bien que l'idée d'une année de césure (notamment postbac) ne fasse pas vraiment partie de la culture française, contrairement aux pays du nord ou anglo-saxons. Les jeunes ont besoin de sens pour se construire, et de temps pour trouver leur voie. L'idée d'une année de césure consacrée à se rendre utile aux autres est en soi une évidence... Mais cela nous semblait essentiel de les indemniser pour que ce nouveau service, même volontaire, soit vraiment accessible à tous. Parce qu'indemnisé, ce nouveau service civique a démocratisé l'engagement et la possibilité de se rendre utile pour les jeunes, car le bénévolat est souvent un luxe ; les jeunes des quartiers défavorisés ont une vision, une connaissance des besoins sociaux et l'envie d'aider autant que les autres mais ils n'en ont souvent pas les moyens ou pas la conscience. Avec la création du service civique, c'est une reconnaissance de l'État qui a été apportée à ces jeunes, mais aussi le financement nécessaire à l'essaimage de l'idée, voire un jour à sa généralisation.

Les structures de terrain ont-elles été difficiles à convaincre ?

Oui car elles ont besoin de compétences et peu de temps pour former et encadrer. Petit à petit, elles ont compris l'intérêt d'accueillir ces jeunes qui se sont révélés très utiles. Ils amènent des moyens humains, de l'énergie et le temps dont les équipes salariées ne disposent pas. C'est aussi de la remise en question, de l'innovation, de la créativité, des jeunes qui débarquent avec leurs idées, leurs questionnements et apportent un nouveau souffle dans les établissements. C'est particulièrement vrai dans les Ehpad et les structures d'accueil pour personnes âgées. 98 % des structures ont d'ailleurs renouvelé cet accueil, prouvant ainsi que le plus difficile, c'est de faire confiance à ces jeunes « non professionnels » une première fois. Après, la confiance est là, et on donne leur chance à d'autres jeunes. Le service civique apporte un nouveau souffle, soulage les professionnels, sans jamais les remplacer, et aide des jeunes à s'insérer, découvrir des métiers, parfois trouver leur voie. C'est gagnant-gagnant.

Vous avez récemment lancé un service civique solidarité seniors ?

Oui c'est un mouvement qu'Unis-Cité a lancé avec tous les acteurs membres de Monalisa, le ministère délégué à l'Autonomie et le secrétariat d'État à la jeunesse, grâce au financement et l'engagement sans précédent de Malakoff Humanis dans le cadre de la gestion de la retraite complémentaire Agirc-Arrco. L'ambition est de multiplier la présence de jeunes auprès des personnes âgées, à domicile comme en établissements (réseau d'Ehpad, CCAS, résidences services seniors), pour prévenir la perte d'autonomie et lutter contre l'isolement des anciens. Certes ces jeunes ne sont pas des professionnels du grand âge, mais ils peuvent apporter un énorme coup de main et choisir ensuite de devenir des professionnels du secteur. Généralement ils épaulent les animateurs, quand il y en a, en apportant leur créativité, leurs bras et leur énergie. Ils permettent aussi de lutter contre l'isolement, y compris en établissement. Durant la crise Covid par exemple, ils ont pris le temps d'aller échanger avec les personnes âgées qui ne pouvaient quitter leur chambre, ils ont aidé à accueillir les familles, etc.

Comment les jeunes ont-ils répondu à cet appel ?

Le bouche-à-oreille fonctionne très bien et les jeunes sont désireux d'une solidarité intergénérationnelle. Ce phénomène a d'ailleurs explosé avec la pandémie. Nous avons vu naître une très forte envie d'aider les plus âgés et de renforcer la solidarité envers eux. Les données dont nous disposons indiquent que les jeunes se disent « ressourcés » après ce service civique, « avec l'impression d'avoir appris des années d'histoire de France et du monde ». Certains se sont même rapprochés de leurs propres grands-parents, ayant réalisé qu'ils avaient un manque. D'autres continuent de visiter bénévolement certaines personnes âgées qu'ils ont accompagnées pendant leur service. Enfin, certains décident de travailler dans le secteur de l'aide à domicile, voire de devenir aide-soignante, infirmière... Les taux de satisfaction des deux parties, établissements comme jeunes, frôlent les 100 %. C'est incroyable. 72 % des jeunes qui étaient sortis du système scolaire et sans emploi avant sont en formation diplômante ou en emploi à la sortie. Ils ont repris confiance en eux, développé des compétences, acquis une expérience qu'ils peuvent valoriser. Ces retours sont plus qu'encourageants et nous confortent dans l'idée que nous devons continuer et généraliser. Il faudrait que tous les établissements qui accueillent des personnes âgées prennent une équipe de jeunes en service civique tous les ans !


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