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17/01/2024  - Recherche  16446

« Les métiers du vieillissement, essentiels et pourtant insoutenables »

Dans le cadre du projet de médiation scientifique « Que sait-on du travail ? », lancé en mai par le Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, et dont les travaux viennent de donner lieu à co-édition par Les Presses de Sciences Po/LeMonde, quatre chercheurs, Annie Dussuet, François-Xavier Devetter, Laura Nirello, Emmanuelle Puissant se sont penchés sur les conditions de travail des métiers du vieillissement. Avec l'aimable autorisation des Presses de Science Po, Géroscopie en publie ici la contribution (hors références bibliographiques).

La crise du Covid a rendu encore plus évident le caractère essentiel des métiers du Grand âge. L'allongement de l'espérance de vie s'accompagne en effet de l'apparition de limitations fonctionnelles, de façon plus ou moins accentuée suivant les catégories sociales. Celles-ci se traduisent pour une partie importante de la population par la nécessité d'un accompagnement destiné à maintenir le maximum d'autonomie et à favoriser des fins de vies dignes. Que ce soit à domicile ou en établissement, cet accompagnement nécessite l'intervention de personnes aguerries, non pas tant pour « soigner » des pathologies, mais pour « prendre soin » (care) de personnes devenues plus vulnérables avec l'âge. Il s'agit donc d'adapter les caractéristiques de chaque intervention : suffisante pour garantir la sécurité et la qualité de vie des personnes âgées aidées, mais pas trop intrusive, afin d'éviter de précipiter la perte d'autonomie. Pourtant, les acteurs du secteur attendent toujours la fameuse Loi Grand Âge, sans cesse annoncée et repoussée, alors que les rapports institutionnels et les recherches académiques se succèdent et alertent tous sur la faible qualité des emplois et du travail dans ce secteur, notamment en termes de faiblesse des rémunérations, mais aussi en termes de pénibilité et d'usure professionnelle qui en découle.

Or, ces métiers du grand âge, qui se concentrent dans les Ehpad et l'aide à domicile, sont indirectement déterminés par des financements et réglementations publiques, à la fois sur les plans quantitatif (nombre de création d'emplois) et qualitatif (qualité des emplois créés et qualité des conditions de travail). En quoi les politiques publiques actuelles contribuent-elles à la faible rémunération, au déficit de reconnaissance symbolique et matérielle et aux mauvaises conditions de travail constatées de ces emplois ?

Après un bref panorama sur qui sont les travailleuses des secteurs du vieillissement et sur leurs conditions de travail (partie 1), nous reviendrons sur le rôle joué par les politiques publiques (partie 2).

1- Des travailleuses aux conditions d'emploi difficiles

Les personnes qui prennent en charge les personnes en perte d'autonomie (personnes âgées et/ou en situation de handicap) relèvent principalement de quatre métiers : les agent.es de services hospitaliers (ASH), les aides-soignantes (AS), les aides médico-psychologiques (AMP) et les aides à domicile (AD).

Au total ce sont près d'un million de personnes (dont environ la moitié, essentiellement les aides à domicile, peuvent également être considérées comme participant aux emplois du nettoyage. On compte ainsi plus de 550 000 salariées dans l'aide à domicile et près de 400 000 dans les structures d'hébergement médico-sociales, notamment les Ehpad. Ces salariées du « care » se caractérisent également par une moyenne d'âge plutôt plus élevée que celle de l'ensemble des salarié.es (âge moyen de 43 ans pour l'hébergement médico-social et plus de 47 ans dans l'aide à domicile). Ces métiers sont en effet souvent exercés en seconde partie de carrière, soit après une longue période d'inactivité, soit après un licenciement, par exemple dans l'industrie. Ces emplois ne s'inscrivent ainsi que rarement dans des projets de carrière et sont, au-delà de la faible rémunération, marqués par des pénibilités multiples à la fois d'ordre physique et psycho-social.

Bas salaires et pauvreté

Le premier fait marquant des métiers du Grand âge est le bas niveau des salaires. Pour les quatre métiers identifiés plus haut, le revenu mensuel médian est de 1100 euros (contre 1330 euros pour l'ensemble des employé.es et ouvrie.res du secteur tertiaire). La situation est encore plus dégradée pour les aides à domicile dont la rémunération mensuelle est largement en dessous du SMIC, s'élevant en moyenne à 1053 euros selon données de l'enquête Conditions de travail 2019 de la Dares. Cette faiblesse du revenu mensuel médian s'explique par la conjonction de salaires horaires faibles et de la généralisation du travail à temps partiel (78% des aides à domicile exercent à temps partiel, voire très partiel avec près de 25% des salariées effectuant moins de 17 heures par semaine). Le temps partiel ne signifie cependant pas une faible emprise du travail sur la vie des salariées. Bien au contraire la fragmentation des emplois du temps et la multiplicité des lieux d'exercice débouchent sur des amplitudes horaires très larges, tout à fait similaires à celles des emplois à temps plein : les aides à domicile peuvent fréquemment commencer leur journée à 7h30 et la finir à 19h30... tout en n'ayant que 5 ou 6 heures de travail comptabilisées comme telles (faute de prise en compte des « temps morts » entre deux interventions ou du temps de transport d'un domicile à l'autre notamment). Au total il s'agit, non pas d'emplois à temps partiel, mais plutôt à rémunération partielle...

Pénibilités multiples, sinistralité élevée

Dans ces métiers, les pénibilités à la fois industrielles et tertiaires se cumulent : ports de charges lourdes, nuisances chimiques dues aux produits d'entretien que l'on ne choisit pas, gestes répétitifs, problèmes posturaux mais aussi relations complexes avec les usagers et usagères, impliquant des sollicitations qui peuvent être continues, des injonctions parfois paradoxales entre les plans d'aide, les besoins immédiats des personnes aidées, et les demandes des familles le cas échéant. Les données de l'enquête Conditions de travail permettent d'illustrer cette situation (tableau 1).

Ces quatre métiers se caractérisent ainsi par une sinistralité élevée. Le taux d'accidents du travail (65 par million d'heures dans l'aide à domicile - Cnamts 2020) est aujourd'hui bien supérieur à celui de l'ensemble des salarié.e.s (33 par million d'heures). De même, ces métiers font partie de ceux où le recours au licenciement pour inaptitude est particulièrement fréquent.

Manque de reconnaissance

Peu payés et exposés à de nombreuses pénibilités, ces métiers sont également victimes d'un déficit de reconnaissance sociale manifeste. Les compétences qu'ils mobilisent demeurent souvent invisibilisées et renvoyées à des expériences acquises dans la sphère domestique. Ainsi, l'idée que toute femme est capable de réaliser ces « activités domestiques » et que l'emploi est « par nature » non qualifié reste largement prégnante. Elle est cependant de plus en plus contestée par la revendication d'une professionnalité relevant du secteur médico-social. Les professionnelles contestent l'idée que « n'importe qui » soit en mesure de prendre soin de nos ainé.es et affirment que des qualifications sont bien nécessaires pour exercer ces activités.

Ces hésitations se traduisent par une place ambiguë laissée à la formation initiale et continue : des diplômes ont été créés (le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile puis le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale et enfin le diplôme d'État d'accompagnant éducatif et social plus récemment), les volumes de formation se sont développés, mais ces formes de reconnaissance demeurent partielles et largement inachevées, comme l'atteste l'existence maintenue de niveaux de classifications renvoyant à des rémunérations égales (voire inférieures) au Smic, accessibles sans diplôme ni formation, ni expérience. Ce maintien d'une partie importante des salariées dans les bas salaires est ainsi rendu compatible avec la reconnaissance de qualifications pour une autre partie, limitée, de travailleuses. Pour le moment, loin de permettre des trajectoires ascendantes, c'est plutôt une concurrence par les coûts que l'on observe.

Au-delà de l'existence de stéréotypes de genre sur la perception des métiers et des compétences, les difficultés rencontrées pour améliorer la reconnaissance de ces professions s'expliquent également par la multiplicité des métiers et plus encore celle des types d'employeurs (et des conventions collectives). Qu'il s'agisse des Ehpad ou de l'aide à domicile, on compte trois types d'employeurs : les employeurs publics (fonction publique territoriale ou hospitalière), les employeurs privés non lucratifs (principalement associatifs et mutualistes), et les employeurs privés à but lucratif. Pour l'aide à domicile, il faut encore ajouter l'emploi direct (via le chèque emploi service universel - Cesu), dont la convention collective est sans conteste la moins favorable aux salarié.es. Au-delà de son impact sur la qualité de l'emploi, l'existence de cette forme d'emploi atypique constitue un réel blocage dans la construction d'une identité professionnelle propre au secteur médico-social qui rompe définitivement les liens avec la logique issue de la domesticité.

2 Des politiques publiques qui alimentent la perte du sens au travail

Le constat d'une médiocre qualité de l'emploi dans le champ des métiers du care est bien établi et régulièrement dénoncé par des rapports publics mais la persistance de cette situation est d'autant plus incompréhensible que l'essentiel des éléments qui maintiennent ces emplois dans une trappe à précarité sont eux-mêmes dus aux politiques publiques nationales et départementales. Dans la prise en charge des personnes en perte d'autonomie, on note ainsi un transfert des contraintes financières et des exigences d'économies et de rationalisation d'abord de l'État vers les conseils départementaux pour l'aide à domicile, ou vers l'ARS (conjointement avec les conseils départementaux) pour les Ehpad, puis des autorités de tarification vers les organisations, et in fine sur le travail des salariées et le service rendu aux usagers des services, les personnes âgées.

La forte croissance des besoins en matière d'aide face à la perte d'autonomie depuis les années 1990 (découlant du vieillissement démographique et d'une volonté d'améliorer l'inclusion des personnes en situation de handicap), a lieu dans un contexte marqué par l'affirmation de contraintes budgétaires importantes. Si les années 1990 et le début des années 2000 ont été marquées par des objectifs ambitieux, propres à développer un « service du care », les moyens alloués sont restés plus que limités, et les politiques engagées depuis sont empreintes d'une logique de rationalisation de l'activité qui fait dépendre celle-ci d'indicateurs chiffrés. Ceux-ci alimentent une perte de sens au travail pour les salariées concernées.

Industrialisation du secteur et rationalisation de l'activité

En effet, si les politiques publiques intervenant dans le champ des Ehpad et dans celui de l'aide à domicile sont distinctes, elles se rejoignent dans une tentative d'industrialisation du secteur, reposant sur le double objectif de développer les activités du Grand âge (et de créer des emplois) tout en contenant les financements publics, à l'image des stratégies « low-cost » de gestion du travail. Dans ce contexte et dans le cadre d'une nouvelle gestion publique mettant l'accent sur la « performance » et les « résultats », la relation d'aide tend à se réduire à une addition de tâches dissociées les unes des autres, et la performance à se mesurer au nombre de tâches réalisées par chaque salariée sur chaque usager.e ou résident.e, à l'aide d'outils numériques (smartphones, télégestion dans l'aide à domicile, tablettes ou ordinateurs dans les Ehpad).

Ce processus d'industrialisation et de rationalisation de l'activité découle directement des modalités de tarification de ces activités médico-sociales par les pouvoirs publics, qui tendent à ne reconnaître (et donc financer) que le seul temps de travail considéré comme « productif » (c'est le terme employé par de nombreux Conseils départementaux tarificateurs des services d'aide à domicile). Dans l'aide à domicile par exemple, ce temps de travail dit productif résulte d'une double réduction du travail, d'une part aux tâches réalisées au sein des domiciles privés (ce qui évacue l'ensemble des temps de travail collectif, de trajets, de coordination, etc.), et d'autre part, dans le domicile même, au temps que l'on peut associer à la réalisation de tâches tangibles, quantifiables et chronométrables (aide à la toilette, aide au repas, aide à la réalisation de tâches administratives...). À ces tâches « élémentaires » sont associées des référentiels de temps : l'évaluation de la qualité est alors ramenée au respect de standards (avoir réalisé une toilette en 30 minutes), à l'atteinte d'indicateurs, et de moins en moins référée à la réponse aux besoins multidimensionnels des personnes. Ceux-ci incluent pourtant des aspects relationnels, partiellement imprévisibles en amont.

Concrètement, l'industrialisation des services dans le cadre de la nouvelle gestion publique marque l'avènement du chiffre dans le pilotage de l'action publique, caractéristique d'un régime de performance.

Un pilotage de l'activité par les indicateurs

Ces évolutions structurelles orientées vers l'industrialisation s'appuient sur des outils, et en particulier de nombreux indicateurs chiffrés. Il ne s'agit pas ici de se positionner pour ou contre ceux-ci, mais de souligner la transformation de leur rôle : d'une aide à la compréhension et à la prise de décision publique, ils deviennent une finalité, l'objectif même à atteindre. Ce qui peut entraîner une décorrélation entre l'évaluation de la qualité, au sens de la performance mesurable par des indicateurs pré-déterminés, et la réponse aux besoins, au sens de l'amélioration effective de la situation des personnes bénéficiaires de l'accompagnement.

Ce pilotage par les indicateurs se répercute directement sur le travail quotidien des salariées en interaction avec les personnes âgées, que ce soit à domicile ou en établissement : l'activité est contrainte, parfois alourdie, et surtout éloignée de la finalité du service. Si ces éléments traversent l'ensemble des métiers du champ médico-social (la télégestion s'étant par exemple largement diffusée dans l'aide à domicile), c'est dans les Ehpad que le pilotage par les indicateurs s'avère le plus avancé avec la généralisation de l'utilisation de deux d'entre eux : le GIR Moyen Pondéré (GMP) et le Pathos Moyen Pondéré (PMP) qui servent à mesurer sur une échelle chiffrée les niveaux de dépendance des personnes âgées pour le GMP, et les besoins en soins pour le PMP. Ces indicateurs orientent la politique d'accueil des établissements, parce qu'ils déterminent le montant des dotations publiques pour les volets soins et dépendance. Dans ce cadre, les établissements se munissent de tableaux de bord et déterminent par ce moyen les profils des publics à accueillir. Les indicateurs deviennent ainsi des vecteurs de la standardisation des activités. Ils accompagnent une logique de médicalisation des établissements, en conditionnant la dotation en moyens humains et matériels à l'accompagnement de personnes de plus en plus dépendantes. Plus encore, les indicateurs participent à la standardisation des tâches en permettant aux autorités de tarification de fixer à la minute près le temps que doit passer chaque soignant auprès des patients. 

La perte de sens, un accélérateur de la dégradation des conditions de travail

Le morcellement de l'activité et l'intensification qui en découle nourrissent une forte tendance à la perte de sens du travail. La croissance des situations de « burn out » ou d'épuisement professionnel, caractérise le monde du travail de manière générale, avec des répercussions importantes en termes d'atteinte à la santé des salariées. Depuis la crise du Covid on sait que ces situations d'épuisement professionnel touchent violemment les secteurs et activités du lien, du « prendre soin » auprès des personnes en situation de fragilité, comme l'ensemble des secteurs de la santé et de l'action sociale: selon l'enquête nationale sur le vécu du travail et du chômage pendant la crise sanitaire liée au Covid-19, 33,5% des salariés des secteurs de la santé et du médico-social déclarent travailler plus souvent sous pression qu'avant la crise sanitaire contre 23,5% des autres salariés. Or, les travaux de psychodynamique du travail et d'ergonomie ont montré combien la perte de sens au travail était au coeur de ce processus.

Dans ces métiers, de nombreuses recherches mettent en évidence deux degrés de perte de sens, ou de « qualité empêchée ». D'abord, une perte de sens générée par l'impression de ne pas pouvoir faire ce qu'on pense nécessaire pour « bien » faire son travail, et ainsi répondre aux besoins multidimensionnels des personnes aidées et accompagnées. Le vecteur de ce premier degré de perte de sens est le manque de temps et le manque de personnels. On retrouve ici une analyse assez traditionnelle et maintenant bien connue de la nécessité pour les salariées de ne pas se contenter du travail prescrit, mais de l'enrichir, de le dépasser pour un travail réel qui soit un travail « bien fait ». Ensuite, un degré supérieur et qui génère des situations plus violentes de souffrance au travail, tient à l'impression que ce qui est demandé, c'est-à-dire ce qui est attendu des salariées (par les employeurs et les financeurs), va à l'encontre de ce qui devrait être fait pour répondre aux besoins des personnes que l'on accompagne. Dans les entretiens, de nombreuses salariées vont même plus loin, en indiquant que si elles faisaient ce qu'on leur demande, elles exerceraient une forme de « maltraitance » à l'encontre des personnes âgées. Par exemple, réaliser à domicile en 30 minutes une aide à la toilette pour une personne que la salariée ne connait pas, ne pas pouvoir adapter les durées d'intervention et le temps passé aux différentes activités à l'état psychologique et de fatigue des usager.es et résident.es, sont ainsi perçus comme des formes de maltraitance et si nos entretiens témoignent de l'inventivité des salariées pour maintenir du sens, les stratégies développées pour ce faire sont principalement individuelles et peuvent les mettre en danger. Par exemple, nombre de salariées dépassent le temps alloué et travaillent pour partie gratuitement afin de compenser les insuffisances des référentiels de temps associés à chaque tâche. Certaines aides à domicile sont ainsi amenées à « badger » pour indiquer à l'employeur et aux financeurs que l'intervention s'est terminée à l'heure (afin que les surcoûts d'un débordement du temps prévu ne soient pas assumés financièrement par les personnes aidées), tout en restant au domicile, afin de prendre le temps de la relation.

Autrement dit, le système des Ehpad et de l'aide à domicile paraît aujourd'hui largement insoutenable humainement, socialement et financièrement : il ne tient que par le développement du travail gratuit des femmes, qu'elles soient aidantes familiales ou professionnelles (par le débordement des temps de travail rémunérés). Collectivement, la situation n'est plus tenable et appelle des politiques publiques permettant une réelle reconnaissance des métiers du secteur de la perte d'autonomie.

Conclusion : que faire pour l'amélioration et la reconnaissance des métiers du vieillissement ?

Cinq dimensions semblent prioritaires pour rendre soutenable le travail des métiers du vieillissement. La première consiste à réaffirmer l'ancrage de ces métiers dans le champ médico-social pour renouer avec les politiques engagées en 2002 par la loi de Modernisation de l'action sociale et mettre fin aux confusions entretenues par les politiques de soutien aux « services à la personnes », et notamment le plan Borloo de 2005. De cette reconnaissance comme service à vocation médico-sociale découle une seconde priorité : l'affirmation du fait que ces activités relèvent d'une logique de service public impliquant l'encadrement très strict de la concurrence et des objectifs de lucrativité. Les récents scandales touchant les Ehpad appartenant à des entreprises à but lucratif rappellent avec vigueur qu'un service social ne doit pas être source de profits privés si l'on veut éviter que les usagers, usagères et salariées n'en paient le prix. La troisième orientation prioritaire est une redéfinition de la mesure et de l'organisation des temps de travail. Le travail financé ne peut se réduire aux tâches d'interaction directe avec les usagers. Il s'agit d'intégrer les temps de préparation, de récupération, de déplacement, de coopération au sein d'un collectif de travail, afin de garantir la qualité du service en même temps que la soutenabilité d'un emploi à temps plein offrant un salaire décent. La soutenabilité de ces métiers passe également par le développement des ressources dont doivent disposer les salariées : des formations initiales et continues suffisantes, l'existence de fonctions support, non pas pour contrôler mais pour soutenir et équiper les intervenantes. Enfin, une cinquième condition est, plus globalement, de (re)créer une dimension collective pour des missions dont la difficulté et la dimension relationnelle nécessitent des temps de délibération au sein d'une communauté de travail.

Ces transformations pour revaloriser les métiers du care sont urgentes, non seulement pour faire face aux injustices dont ils sont victimes, que certains euphémisent en « défaut d'attractivité », mais il s'agit également d'une urgence en termes d'égalité entre femmes et hommes. Car, au-delà de ces métiers, c'est la question de la place des femmes dans la société, travailleuses, aidantes familiales, mais aussi personnes âgées, qui est posée.

Annie Dussuet, enseignante chercheuse émérite à Nantes université, François-Xavier Devetter, chercheur au laboratoire Clersé de l'université de Lille et à l'Institut de recherches économiques et sociales, Laura Nirello, enseignante-chercheuse à l'IMT Nord-Europe et Emmanuelle Puissant, enseignante-chercheuse à l'université Grenoble-Alpes.

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