Une nouvelle loi « Grand âge » devrait être votée d'ici fin 2019. En 17 ans, le secteur des EHPAD a connu de grands bouleversements - loi 2002-2, Plan solidarité grand âge, loi HPST en 2009, loi ASV en 2015, sans oublier les différents plans Alzheimer - dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. Si les structures ont fait de réels progrès (médicalisation, bientraitance, qualité de l'accompagnement et des soins aux résidents), la révolution reste inachevée pour faire face au choc démographique à l'horizon 2030.
Les sept plaies de l'EHPAD
Un taux d'encadrement insuffisant
Le taux d'encadrement médian en EHPAD est de 61 ETP (62.8 si on tient compte du taux d'occupation de 98% fin 2015). 10% des EHPAD affichent un taux inférieur à 43,8 ETP et 10 % des EHPAD ont un taux 76,2 ETP (après avoir écarté les extrêmes). S'agissant du taux d'encadrement moyen « au chevet du résident » en aide-soignant, aide médico-psychologique et assistant de soins en gérontologie, il est de seulement 24,5 ETP pour 100 places. Pour les infirmiers, il est de 6 ETP pour 100 places. Pour rappel, le Plan solidarité grand âge 2007-2012 préconisait 0,65 soignant pour un résident et jusqu'à 1 pour 1 pour les personnes en très grande dépendance. En comparaison à ses voisins européens, la France est loin derrière. Ainsi, pour un EHPAD de 100 lits, l'Espagne a 40 soignants, l'Allemagne 38, la Belgique 35.
La ministre des Solidarités et de la Santé a débloqué au total 360 millions d'euros de 2019 à 2021 destinés au recrutement de personnels soignants dans les EHPAD. Cette mesure ramenée aux 7 500 EHPAD représente environ 20 000 euros par établissement, soit moins d'un poste de soignant. Quel taux d'encadrement serait indispensable pour les prochaines années ? Pour le Conseil de l'âge, il serait « réaliste de retenir une hypothèse de 0,8 ETP/résident (+25%) », ce qui correspond à une augmentation de 100 000 ETP en EHPAD. Le Conseil évalue le coût de cet accroissement des moyens de fonctionnement à 4 milliards d'euros à l'horizon 2024.
Un manque d'attractivité des métiers...
Près d'un EHPAD sur deux est confronté à des difficultés de recrutement, selon une étude de la Drees. Précisément, 49% des établissements du secteur privé peinent à attirer des candidats, ainsi que 38% des établissements publics. Les difficultés concernent surtout les aides-soignants - 9% en moyenne des EHPAD ont des postes non pourvus - et les médecins coordonnateurs - 10% des EHPAD sont concernés - tandis que le recrutement d'infirmiers pose moins de problèmes. En 2014, une enquête de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI) notait toutefois une désaffection des jeunes soignants (27% des sondés) pour le secteur des EHPAD.
...et un turn-over important
Les facteurs à l'origine des difficultés de recrutement sont les mêmes que ceux qui causent un turn-over élevé. Des conditions de travail plus difficiles en sous-effectifs conduisent plus souvent le personnel à quitter l'établissement. D'après une étude de l'Insee, intitulée "Turn-over élevé du personnel soignant dans les EHPAD privés en France : impact de l'environnement local et du salaire", le taux de départ moyen des infirmiers est de 61 % et celui des aides-soignants s'élève à 68 % dans les Ehpad privés en 2008. Ces départs sont plus importants que dans le secteur hospitalier. Quels sont les leviers d'action possibles pour fidéliser le personnel ? L'augmentation des salaires pour les aides-soignants et le renforcement de l'encadrement en personnel semblent réduire la probabilité de départ des salariés, note cette même étude. Autre signe de conditions de travail difficiles : parmi les établissements de soins, les EHPAD ont le taux d'absentéisme record avec 8,9 % soit 32,5 jours moyens d'absence par salarié sur une année, selon les données de l'ANAP.
Une sinistralité record
Selon les chiffres 2017 de l'Assurance Maladie-Risques professionnels sur les accidents du travail et maladies professionnelles, le taux de sinistralité dans les EHPAD est passé de 94,6 pour 1 000 salariés en 2016 à 97,2 en 2017, alors que la fréquence d'accidents avec arrêt s'est établie à 33,4 pour 1 000 en moyenne dans les autres secteurs. Le taux d'arrêts de travail est 1,3 fois supérieur aux autres branches santé, et 2 fois supérieur à la moyenne nationale, toutes branches professionnelles confondues. Dans le cadre de sa Convention d'objectifs et de gestion (COG), la CNAM financera, sur la période 2018-2022, un programme d'actions sur les troubles musculo-squelettiques professionnels (TMS) en EHPAD, en ciblant les 500 structures qui représentent 40% des accidents du travail ou des maladies professionnelles. Elle mettra également en place une prestation spécifique au secteur des EHPAD, destinée à lutter contre les risques psycho-sociaux. Déjà budgétée dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018, une enveloppe de 16 millions d'euros sera consacrée à la stratégie qualité de vie au travail (QVT).
Une inflation normative
Les normes et obligations qui s'imposent aux gestionnaires d'EHPAD se multiplient, d'années en années, sans toutefois être accompagnées des moyens financiers nécessaires pour les mettre en place. A l'heure où le Conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) engage une réflexion sur la société inclusive et notamment sur le fait d'inscrire les établissements dans une "logique domiciliaire", la question d'alléger ce carcan normatif se pose.
Un reste à charge élevé
D'après une étude de la Mutualité française publiée en octobre 2018, le coût d'un mois en EHPAD pour les résidents en perte d'autonomie la plus sévère (GIR 1 et 2) est de 2?450 euros en moyenne et leur reste à charge mensuel moyen après l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et l'aide sociale à l'hébergement (ASH) est de 2 000 euros. Mais cette somme va du simple au double d'un département à l'autre : 1?600 euros par mois dans la Meuse et plus de 3 100 euros par mois à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Les premières analyses menées par la Drees à partir de l'enquête CARE-Institution 2016 notent qu'un tiers des résidents doivent puiser dans leur épargne pour financer les frais en institution. 11 % doivent mobiliser leur entourage pour payer une partie de ces frais. Près d'un résident sur dix envisage, à l'avenir, de vendre du patrimoine pour couvrir ces dépenses.
Un déficit d'image persistant
Les Français ont une assez bonne image (60 %) des personnels de santé qui travaillent dans les EHPAD mais ils sont 56 % à avoir une mauvaise image de ces établissements, 84 % étant convaincus qu'ils manquent de moyens, révelait le "Baromètre santé 360 : Grand âge, dépendance et accompagnement du vieillissement" réalisé par Odoxa et publié en juillet 2017. La défiance des Français vis-à-vis des maisons de retraite s'inscrit dans le temps. Selon le Baromètre d'opinion de la Drees, publié en décembre 2014, seuls 19 % des Français envisageraient de placer dans une institution spécialisée un proche parent devenu dépendant. Si d'aucuns pointent du doigt les effets délétères de l'EHPAD bashing de certains médias, il reste également encore des efforts à fournir pour parvenir à des EHPAD pleinement intégrés dans la Cité, ouverts à et sur leur environnement, qui sachent communiquer et éradiquer des esprits l'image de l'hospice et du mouroir.