Entretien avec le Pr Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon à Paris.
« Les vaccins n'empêchent pas la transmissibilité du virus »
Faut-il administrer une troisième dose de vaccin aux résidents des Ehpad ?
La problématique de la troisième dose appelle plusieurs remarques. Premièrement, à qui s'adresse-t-elle ? Le positionnement français, assez large dans les indications de priorisation des personnes les plus vulnérables, est le bon. Rappelons que le Conseil scientifique avait préconisé l'injection d'une troisième dose aux plus de 80 ans et uniquement dans les Ehpad. Le choix de la recommander aux plus de 65 ans et aux personnes fragiles, immunodéprimées notamment, doit donc être salué dans l'état actuel des connaissances sur la durée de la réponse immunitaire. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que dans les établissements médico-sociaux et à domicile, plus d'un million quatre cent mille personnes âgées de plus de 75 ans n'ont pas encore eu accès aux deux doses. Enfin, d'une manière plus générale, se posera la question de la disponibilité du vaccin au niveau international, d'un vaccin universel.
La vaccination antigrippale devra-t-elle également être réalisée ?
Oui, car s'il y a eu moins de grippes durant l'hiver dernier grâce à l'utilisation des masques et au respect des gestes barrières, cette maladie reste une cause de décès prématurée non négligeable chez les personnes âgées. Une dispensation dans une même seringue de la vaccination antigrippale et de la troisième dose de vaccination contre la Covid-19 a d'ailleurs été annoncée.
Les vaccins à ARN messager doivent-ils être privilégiés en Ehpad ?
Ils sont recommandés effectivement car nous disposons de davantage de recul et les discussions sont plus simples avec les laboratoires pharmaceutiques qui les fabriquent. Mais attention, l'un des problèmes objectifs de ces vaccins est qu'ils n'empêchent pas la transmissibilité du virus. Les Ehpad, comme tous les établissements qui reçoivent du public, doivent donc rester très vigilants sur le respect des mesures barrières, même en cas de vaccination. Par ailleurs, je regrette que le taux de vaccination du personnel, même s'il dépasse 80 %, reste insuffisant.
Vous avez adopté des positions très claires sur le sujet mais est-il possible de ne plus faire travailler des professionnels non vaccinés dans le contexte de pénurie que nous connaissons ?
Il existe un principe simple : quand une règle est édictée, elle doit s'appliquer. Malheureusement, le sujet est devenu trop politique. Le personnel soignant, en Ehpad ou dans nos services hospitaliers, n'a jamais rechigné aux obligations vaccinales : diphtérie, tétanos, DT-Polio, hépatite B... Pourquoi se montrer si virulents face à une protection contre la Covid-19 ? Bien sûr, certains continuent de dénoncer un manque de recul sur de possibles effets secondaires du vaccin mais l'argument tombe très vite. Il faut rappeler tout d'abord que le recul de l'ARN n'est pas de quinze mois mais de quinze ans. Cette technologie a déjà été testée à de nombreuses reprises pour soigner des maladies orphelines et certains cancers. Ensuite, trois milliards de personnes ont déjà été vaccinées dans le monde, sans ressentir d'effets secondaires majeurs et fréquents alors que nous savons que la plupart d'entre eux sont immédiats. Enfin, il est impossible de conceptualiser un effet retard puisque l'ARN messager ne reste pas dans l'organisme, il est détruit. C'est la réponse immunitaire qui va protéger les personnes vaccinées(1). S'agissant du contexte pénurique de professionnels, nous rencontrons effectivement tous la même problématique : la situation est tendue dans les hôpitaux et dans les Ehpad. Mais je demeure convaincu qu'une infime fraction de professionnels quitteront leur poste au motif du refus de la vaccination, lesquels seraient sans doute partis pour d'autres raisons.
Que pensez-vous de l'efficacité de l'ivermectine, une molécule commercialisée comme traitement antiparasitaire, pour combattre la Covid-19 ?
L'ivermectine a succédé à l'hydroxychloroquine. Ses défenseurs sur les réseaux sociaux sont les mêmes. Un certain nombre d'essais sont en cours (75 de par le monde), d'autres ont effectivement été réalisés sur l'intérêt de ce traitement pour la Covid-19 mais aucun d'entre eux n'est à ce jour assez concluant et la méthodologie est parfois même tronquée. Ce militantisme en faveur des molécules de récupération peut par ailleurs être dangereux. Aux États-Unis, des centres antipoison ont été alertés sur la toxicité liée au détournement de l'ivermectine à usage vétérinaire ! Il convient donc de rester très prudent sur ces effets d'annonce, voire de mode. De nombreux traitements - antipaludéens, anticancéreux... - sont actuellement expérimentés par l'Organisation mondiale de la santé. Soyons donc patients !