Cette question n'est pas nouvelle. Dès 2004, elle agitait les acteurs du secteur. Mais son histoire, née des situations du quotidien, est passionnante. Récit d'une loi...
Liberté d'aller et venir et obligations de soins et de sécurité
L'histoire, racontée ici par un acteur majeur, commence officiellement en janvier 2004. Une jeune directrice d'EHPAD public lui confie, pleine d'émotion et de colère mêlées, une situation qu'elle juge anormale et face à laquelle elle se sent impuissante. Un sous-préfet pressé s'est dit contraint de faire un écart de conduite sur une petite route de campagne pour éviter un piéton, lequel était résident de l'EHPAD voisin. Ni une ni deux, il avait fait téléphoner par la DDASS à la directrice pour se plaindre de cette situation scandaleuse (sic), et il avait été alors enjoint de boucler ce résident trop aventureux dans sa chambre.
La DDASS se trouvait être aussi l'autorité hiérarchique des directeurs du secteur public, et cette jeune femme ne voyait pas comment réagir sans se mettre en danger professionnellement. Sans jamais la faire apparaître personnellement, la tenue d'une réunion d'urgence du conseil de la vie sociale a alors été demandée par d'autres résidents. Le CVS a ensuite adressé une motion aux membres du conseil d'administration, sollicitant son intervention rapide. Celui-ci a alors réagi et interpellé le sous-préfet sur la légitimité de sa position. Trois jours après et avec quelques toussotements dans la voix, la DDASS a rappelé la directrice pour lui indiquer qu'il y avait eu un... malentendu, et que bien sûr, il fallait laisser les vieux messieurs et vieilles dames vaquer à leurs occupations, y compris à l'extérieur de l'EHPAD.
Une bonne pratique professionnelle
Ériger la « liberté d'aller et venir » en bonne pratique professionnelle est devenu un enjeu. C'est ainsi qu'est venue l'idée, à l'image des activités de soins en psychiatrie pour lesquels une jurisprudence s'est développée depuis les années 1970 sur les « pratiques ouvertes de soins », d'une conférence de consensus, organisée par la FHF et placée sous l'égide de l'ANAES, agence précurseur de l'HAS actuelle. C'est en novembre 2004 que s'est tenue cette conférence de consensus sur « La liberté d'aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité », donnant lieu, outre un ouvrage visant à partager les travaux et recommandations à une large communauté d'usagers, d'aidants et de professionnels concernés, à la première recommandation de bonne pratique professionnelle dans le secteur médico-social, figurant toujours dans les repères portés par la Haute Autorité de santé aujourd'hui.
Un ouvrage de référence
Publié aux Éditions de l'École nationale de la santé publique (ENSP devenue École des hautes études de santé publique), cet ouvrage a rencontré un franc succès. L'à-valoir financier qui en a résulté, tous les co-auteurs ayant accepté de renoncer à leurs droits d'auteur, a été échangé contre des d'exemplaires gratuits adressés aux facultés de médecine et de droit, aux instituts de formation en soins infirmiers comme en travail social, mais aussi... aux tribunaux de première instance et administratifs, aux cours d'appels judiciaires et administratives, à la Cour de cassation et... au Conseil d'État. Quelques années plus tard, il est intéressant d'observer la citation dans plusieurs décisions de justice d'une référence à la « liberté d'aller et venir », pour traiter de contentieux de recherche de la responsabilité d'EHPAD pour des accidents survenus à des résidents. En 2007, Michèle Delaunay, récemment élue députée, souhaite s'investir dans le domaine de la gérontologie. Elle consulte Paulette Guinchard, qui lui recommande d'échanger avec David Causse, alors DGA de la FHF et acteur engagé de cette démarche. « Paulette Guinchard, je l'avais connue comme ministre des Personnes âgées, de la mise en oeuvre de l'APA, de la réforme de la tarification des EHPAD, mais aussi comme... vice-présidente de la conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir. Sa hauteur de vue et son attitude chaleureuse en toutes circonstances avaient été précieuses pour parvenir à faire émerger de manière consensuelle quelques positions délicates. » Rapidement, Michèle Delaunay demande donc à David Causse de lui rédiger une proposition de loi sur... la liberté d'aller et venir dans les établissements médico-sociaux.
Un projet de loi...
Devenue ministre déléguée aux personnes âgées, Michèle Delaunay engage dès 2012 la préparation du projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement. Elle confie alors à David Causse une mission préparatoire sur le chapitre des droits individuels et collectifs, dans le cadre notamment du comité national de bientraitance, mais aussi la réalisation d'une charte sur la géolocalisation des personnes vulnérables et ses bonnes pratiques. « La préparation concertée des dispositions législatives sur la liberté d'aller et venir, dans le cadre du CNDB, n'a pas été de tout repos, mais la constance de la ministre sur ce sujet ont permis d'inscrire cette référence dans le projet de loi, au sein du Code de l'action sociale et des familles. » Et malgré son départ, la veille de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, la disposition est restée présente dans ce qui est devenue la loi du 28 décembre 2015 d'adaptation de la société au vieillissement. « La toute dernière étape législative a été délicate, lorsqu'un député, avocat et ancien bâtonnier, a voulu se saisir de l'annexe au contrat de séjour pour y lister... toutes les bonnes raisons de déroger au principe de liberté d'aller et venir. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Mais la disponibilité de Bernadette Laclais, alors députée et rapporteure de cette partie du texte, a permis de ne pas traiter de ce sujet comme un droit rhétorique mais bien comme un objectif de bonne pratique de soins et d'accompagnement « pour soutenir l'exercice de la liberté d'aller et venir » (sic), en associant dans ladite annexe les objectifs de promotion de l'autonomie, la sécurité, et leurs moyens d'accompagnement et de mise en oeuvre pratiques. »
La liberté d'aller et venir reconnue
Et voilà qu'en 2021, le 3 mars exactement, après une année de Covid où la question de la liberté d'aller et venir a été maintes fois réinterrogée, est prise une ordonnance du Conseil d'État, dans la décision 449759, statuant en référé, faisant référence à la disposition législative du Code de l'action sociale et des familles sur « la liberté d'aller et venir ». Elle ordonne la suspension de l'exécution des recommandations du ministère des Solidarités et de la Santé portant adaptation des mesures de protection dans les établissements médicaux sociaux et USLD accueillant des personnes à risque face à la propagation de nouveaux variants du SARS-COV-2 et de la recommandation interdisant, de manière générale et absolue, à tous les résidents des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qu'ils soient vaccinés ou non, d'en sortir... La liberté d'aller et venir est officiellement reconnue.