Dire que la crise sanitaire a bouleversé la compréhension qu'a le grand public des missions du médecin coordonnateur relève de l'euphémisme. Mais au-delà, c'est bien avec les autorités de tutelle et l'ensemble de la communauté soignante que leur rôle s'est révélé indispensable. Retour sur une année inédite.
Médecin-co pendant la crise Covid : vers une nouvelle reconnaissance
Le SARS-CoV-2, parti de Chine, a créé en quelques semaines une crise sanitaire mondiale. En France, la décision est annoncée de confiner la population à partir du 16 mars 2020. Dès lors, les Ehpad sont fermés aux familles. Quelques jours plus tard, devant la contagiosité, et parce qu'ils sont les plus fragiles, les résidents se retrouvent confinés en chambre. Il est demandé de limiter les allers et venues dans les établissements, dont l'intervention des professionnels libéraux (kinésithérapeutes, orthophonistes...) mais aussi des médecins traitants, susceptibles toutefois d'être consultés en cas d'appel urgent ou semi-urgent de l'infirmière, lié à un événement grave (phlébite, suspicion de fracture...). Les pharmaciens se voient accorder le droit de renouveler les traitements en cours à partir de l'ordonnance existante. Le médecin-co devient dès lors un acteur incontournable du dispositif de soin et de gestion au sein de l'établissement.
En première ligne dans la lutte contre la Covid
Comme l'explique le Dr Philippe Walraet, médecin coordonnateur de l'EHPAD Saint-François-de-Sales près de Lille (59) et de l'EHPAD Notre-Dame-de-l'Accueil à Lille (59), « d'un rôle plus administratif avant la crise, nous nous sommes brutalement retrouvés à gérer l'urgence et le quotidien médical, à développer des liens entre différents partenaires (HAD, réseaux de soins palliatifs, cellules Covid). Nous avons été confrontés de manière brutale à une épidémiologie nouvelle. Il a fallu apprendre à reconnaître les signes (chutes, diarrhées, syndromes confusionnels, toux, détresse respiratoire...) mais aussi former les équipes infirmières et aides-soignantes en leur apprenant ces signes de reconnaissance possible de la COVID mais aussi l'importance de la surveillance par la saturation par exemple. D'ailleurs les équipes médicales ont gagné en compétences ». Ce rôle d'enseignement s'est trouvé décuplé, toutes les actions se concentrant sur la lutte contre la Covid. « Tout a été appris dans l'urgence, par la lecture de publications, mais il fallait aller vite pour permettre à tous les acteurs de s'approprier les bons gestes, les réflexes efficaces et mettre à jour leurs connaissances ».
L'isolement des équipes
Pour le Dr Jean-Michel Pratico, médecin coordonnateur à l'Ehpad MBV-Sudalia (34), conseiller ordinal et membre du bureau de l'association des médecins coordonnateurs en Ehpad, Medco34, « cet événement a été vécu de manière traumatique dans les établissements. Même si nous n'avons eu que 3 cas de Covid, et « seulement » parmi les salariés, l'isolement des résidents a entraîné de vraies décompensations psychiques. Les équipes, submergées d'informations de la part des autorités, de consignes en cascades, parfois quotidiennes, ont ressenti un grand sentiment d'isolement. Il fallait tout relire, décortiquer, expliquer les mesures. Les gens étaient perdus. Et on a bien vu, là, les limites de notre bureaucratie. » Toutefois, le Dr Pratico reconna^t que cette crise devrait permettre de tirer des enseignements pour faire évoluer la réglementation. « On comprend bien sûr le principe de précaution, ajoute l'énergique médecin, en retraite depuis quelques semaines. Mais les Ehpad doivent redevenir des lieux de vie, où l'on mange ce que l'on aime, où l'on dort quand on le souhaite. Il y a certainement un cadre à revoir et transformer ».
La collégialité et la concertation
Si les ARS ont souvent été pointées du doigt, force est de constater que la concertation a parfois bien fonctionné. C'est le cas dans les Hauts-de-France où un « kit évolutif de recommandations » pour gérer l'épidémie a été conçu en collaboration avec tous les acteurs locaux et diffusé aux Ehpad de la région dès le 16 mars. Une cellule Covid a aussi été rapidement constituée. Ce kit n'entend pas se substituer aux recommandations officielles, mais bien aider les structures pour leur permettre de proposer un accompagnement le plus digne possible. « La création d'une ' hotline gériatrique ' nous a permis de limiter les hospitalisations et de bénéficier d'un soutien à la prise de décision », confirme Philippe Walraet. Outre les précautions et les soins propres à la Covid, ce dispositif a favorisé une réflexion éthique et un accompagnement de qualité. « Aucun résident au sein de nos Ehpad n'est décédé de manière indigne, insiste le Dr Walraet. Nous avons mis un point d'honneur à développer cette philosophie. Les familles ont ainsi pu accompagner leurs proches, habillées Covid certes, mais bien présentes physiquement au côté de leur proche en fin de vie. » Grâce à la télémédecine, les équipes de soins palliatifs ont aussi pu prendre en charge et soulager les malades.
Le développement de la télémédecine
S'il y a un domaine dans lequel la Covid a favorisé un développement exponentiel, c'est bien celui de la télémédecine. « Les Ehpad fermés, nous avons pu maintenir des consultations gériatriques, dermatologiques, d'orthophonie, de psychogériatrie comme de kinésithérapie et ne pas priver les résidents des soins dont ils avaient besoin, ajoute le Dr Walraet. L'Ehpad était déjà équipé d'un chariot et les infirmières formées, mais dans l'urgence, l'ARS par l'intermédiaire du GIP Santé Numérique a développé une 2e solution de télémédecine par COVALIA WEB avec un simple ordinateur portable et une webcam permettant la réalisation des actes de télémédecine. »
Une médecine de la relation
Tous les Ehpad n'ont pas, bien que cela soit obligatoire, de médecin-co attitré. Le référent médical du résident reste donc le médecin traitant, ou l'IDEC en lien avec le médecin coordonnateur. Le bon fonctionnement du binôme Idec/médecin-co, en étroite relation avec le directeur de l'établissement, est déterminant. « Le directeur, dont le médecin-co reste le conseiller technique, est aussi engagé. Il a même une responsabilité pénale, confirme Jean-Michel Pratico. Il doit donc être associé aux décisions, dans le respect du secret médical. » Un point de vue partagé par le Dr Nathalie Maubourguet, présidente de la FFAMCO[1], vice-présidente du conseil départemental de l'ordre de la Gironde et médecin-co dans trois Ehpad, qui voit dans la relation médecin/Idec le coeur névralgique de l'accompagnement soignant. « La FFAMCO a toujours fait la promotion du métier d'infirmière coordonnatrice notamment dans le rapport « 13 mesures pour une meilleure prise en soin des résidents en EHPAD » remis en 2009 à Madame Nora Berra alors secrétaire d'État aux aînés, et elle a soutenu également la création de la FFIDEC[2] en 2016. Les IDEC maintiennent le fil avec les médecins-co qui interviennent souvent dans plusieurs établissements. Cette collaboration est essentielle. D'ailleurs lorsque la relation médecin-co/Idec ne fonctionne pas, l'Ehpad va mal et on maîtrise moins bien les situations épidémiques. Les consignes doivent être réfléchies et discutées en équipe. Mais elles sont ensuite mises en oeuvre sur le terrain par l'infirmière coordinatrice. D'où la nécessité d'élaborer une relation de confiance ».
Meilleure coordination et relations confraternelles
La Covid a sans aucun doute favorisé cette relation triangulaire, et renforcé la collégialité. « Pour aller plus loin, nous avons revu nos outils de concertation comme les fiches Pallia, renseignées en relation avec la personne de confiance et l'équipe médicale, confirme Philippe Walraet, les résidents n'ayant pas toujours rédigé leurs directives anticipées. Il nous a également été demandé de mettre à jour les dossiers de liaison d'urgence, avec pour seul enjeu de proposer le juste soin, dans les meilleures conditions, sans perte de chance, grâce à une décision collégiale. On peut d'ailleurs se réjouir de cette amélioration liée à la crise. Avant la Covid, le médecin-co ne soignait que dans l'urgence extrême, afin de ne pas interférer avec les décisions du médecin traitant. Pendant la crise, il lui a été donné la possibilité de mobiliser les soins palliatifs, l'HAD, consulter la hotline gériatrique, la fiche Pallia... Ceci a permis d'assurer une continuité de soins et de soulager la douleur. »
Favoriser le lien avec les familles
De ce point de vue, le Dr Nathalie Maubourguet est formelle. « La communication avec les familles est essentielle. Chaque jour, j'appelle les proches des résidents Covid+. Nous avons tissé un lien de confiance, absolument fondamental. C'est vrai que le développement de l'HAD en Ehpad les a considérablement rassurés. Leurs parents malades restent dans l'établissement mais sont soignés comme à l'hôpital, bénéficiant ainsi d'un suivi accru et d'un confort amélioré. Nous pouvons les soulager car nous disposons des traitements adaptés mais en cas de désaturation, les réseaux fonctionnent efficacement et les patients sont transférés et accueillis. Du côté des équipes aussi, c'est un soulagement. Nous ne sommes plus isolés comme lors de la première vague. »
Reste maintenant à finaliser la vaccination. « Tout est en place. Nous sommes très au fait de la conduite à tenir, des gestes à appliquer, ajoute Philippe Walraet. Maintenant nous avons les armes, nous connaissons cette guerre. Il est probable que nous allons devoir affronter ce virus pendant plusieurs mois mais nous avons tissé les réseaux, nous communiquons de manière optimale avec les autorités de santé et les médecins généralistes des résidents qui restent au centre des décisions. Les dispositifs de vaccination sont en place. Il n'y a plus qu'à ! »