Dans le n° 16-janvier 2012  -  Du côté de  595

" Même s'il est doux, c'est un acharnement thérapeutique ! "

Avec qui ? Catherine F. et sa mère (84 ans). Où ? Entre un appartement de Bruxelles et une tour de La Défense.

La santé est un droit. Toutefois, quand le grand âge est là, que la perte d'autonomie s'installe, la préservation de la vie impacte souvent beaucoup la qualité de vie. Face à sa mère de 84 ans, Catherine F. réfléchit.

Regardons les faits : Mme Marguerite F, veuve et mère de quatre filles, vit à Bruxelles. Elle habite seule dans un grand appartement. Elle souffre d'un problème cardiaque et prend 20 médicaments par jour. Elle a déjà été hospitalisée suite à une fracture du col du fémur et depuis elle ne sort qu'accompagnée. Mme F. ne veut pas entrer dans un "home" (maison de retraite). Grâce à une situation financière aisée, les services nécessaires (femme de ménage, kiné,...) sont en place. Elle voit trois de ses filles régulièrement, dont Catherine, qui, cadre dirigeante d'une grande entreprise française, partage son temps entre la capitale belge et Paris.

Cette prise en charge, qui peut paraître adéquate, interroge. " Est-ce une valeur en soi de vivre longtemps ? La longévité n'est pas une garantie de qualité de vie !, fait observer Catherine. Les journées de Maman sont organisées autour de sa santé : les horaires des médicaments, la visite du médecin, du kiné, de la femme de ménage... Elle fait un peu de ménage mais cela lui prend beaucoup de temps. Elle qui a été belle, sportive, musclée, est désormais économe d'elle-même. " Et de comparer avec la situation des générations précédentes marquées elles aussi par la faiblesse cardio-vasculaire. " Un jour, mon arrière grand-mère s'est sentie fatiguée, elle s'est assise sur un banc et son coeur s'est arrêté, enchaîne Catherine. Pour ma grand-mère, c'est à peu près le même scénario. Des départs en douceur... Maman vit une autre histoire. La société ne lui donne pas le choix : elle n'a pas le droit d'assumer ses problèmes cardiaques. Les traitements existent dont il faut les prendre. Même s'il est doux, c'est un acharnement thérapeutique ! " D'ailleurs les médecins envisagent de poser un pacemaker à Mme F. si les médicaments se révélaient insuffisants.

Qu'en pense la vieille dame ?

Pas facile de le savoir vraiment. Quand ses amis meurent, elle dit qu'elle est révoltée, qu'elle voudrait mourir. " Est-ce un appel ou est-ce un souhait réel ?, questionne Catherine. Dans le même temps, il y a des moments magiques. Ainsi quand je lui ai proposé de lui offrir un sac à main pour Noël, sa réponse a été " Qu'est-ce qui est à la mode en ce moment ? ". Elle reste une femme ! " D'autres éléments interpellent la Bruxelloise. Par exemple que sa mère ait gardé le droit de fumer, au nom de la qualité de vie. Que le traitement soit si lourd alors que les interactions sont probables. " Je me demande si cette course à la longévité n'est pas la projection de notre peur de mourir, conclut Catherine. Ce marché du grand âge est fascinant : c'est un marché aveugle, non écologique, qui génère des emplois mais ne se pose pas la question de la pertinence. "

Marie-Suzel Inzé

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